Par Mamadou Sèye
Depuis son dernier discours, Ousmane Sonko a une nouvelle fois saturé l’espace politique. Chaque mot, chaque tournure, chaque pause même, suscite des vagues d’analyse, des poussées de fièvre médiatique et une surchauffe dans les états-majors adverses. Il parle, et tout vacille. Et si, justement, il décidait de ne plus parler ? Pas pour quelques jours, mais pour deux mois entiers. Un mutisme total. Pas de conférence de presse, pas de posts, pas de réactions. Seulement le travail dans l’ombre, le suivi des dossiers, les réunions discrètes, les comptes rendus au président de la République. Rien d’autre. Un silence stratégique. Une posture de fond. Et le pays entier serait secoué. Car ce silence-là, paradoxalement, ferait plus de bruit que mille discours.
Les plateaux télé tourneraient en rond. Les chroniqueurs à scandales seraient en manque d’oxygène. L’opposition, désorientée, devrait s’occuper d’autre chose que de Sonko, elle qui s’est spécialisée dans l’anti-Sonkoisme comme unique programme politique. Les détracteurs chercheraient désespérément une prise, un mot, un geste. Mais il n’y aurait rien à se mettre sous la dent. Et pendant ce temps, Sonko, lui, bosserait. Il avancerait sur les réformes. Il serait au cœur des priorités gouvernementales. Il renforcerait Diomaye en lui laissant toute la scène. Plus personne ne pourrait insinuer une rivalité ou une dyarchie : le Président agit, Sonko soutient, sans bruit. Un duo qui se complète dans la discrétion. Ce serait une manière subtile et puissante de solidifier le pouvoir en place tout en désarmant les critiques. Et c’est justement dans cette retenue que réside l’intelligence politique.
Du côté de ses partisans, loin de toute démobilisation, ce silence serait vécu comme une marque de confiance. Le chef trace la voie, mais laisse aux équipes le soin de s’affirmer. Il pousse à la maturité politique. Il invite chacun à sortir de la logique du commentaire permanent pour entrer dans celle de la construction. C’est dans le silence d’un chef qu’on mesure la solidité de son organisation. Et chez Sonko, l’organisation est robuste, jeune, engagée, en éveil.
Quant à l’opposition, le piège serait total. Sans sa cible favorite, elle devra sortir de l’invective et proposer des idées. Mais le pourra-t-elle ? Sonko muet, ce serait l’épreuve du feu pour ceux qui ne savent que réagir. Leur vide apparaîtrait au grand jour. Leur absence de programme, de vision, de cohérence éclaterait au grand jour. Ils seraient exposés, nus, sans protection. Ils ne pourraient même plus accuser Sonko de les éclipser : il se serait volontairement éclipsé. Et eux ne sauraient toujours pas briller.
Sur le plan international, ce retrait provisoire serait aussi redoutablement efficace. Finies les caricatures sur le tribun emporté, l’homme des foules, le tribun tranchant. A la place, un profil apaisé, rationnel, qui soutient sans bruit une transition ordonnée. Un homme d’Etat, pas seulement un chef de parti. Une stature. Un positionnement. Et une stratégie. Le Sénégal, vu de l’extérieur, y gagnerait en stabilité perçue. Et Sonko, en respectabilité.
Puis viendrait le retour. Discret mais précis. Un discours dense, sobre, profond. Rien de spectaculaire. Mais un mot juste, posé. Là, tout prendrait sens. Le silence aura été utile. Et sa parole redeviendrait un événement.Ecoutée, pesée, redoutée. Ce serait le retour d’un homme qui, même sans parler, aurait gouverné l’agenda national. Deux mois de silence pour rappeler qu’il ne court plus après le buzz. Qu’il est passé du verbe à la vision. Et que c’est cette vision-là qui dérange.
Alors oui, camarade, faisons ce test. Deux mois sans Sonko. Un test pour le Sénégal. Un test pour son camp. Un test pour l’opposition. Et surtout, une démonstration. Car aujourd’hui, Sonko peut se permettre ce luxe immense dans un monde où tout le monde crie : se taire.