L’amitié affichée rassure. Mais le pardon sans justice, lui, inquiète.
Par Mamadou Sèye
Le geste était attendu, il a été posé avec calme et assurance : le Président Diomaye Faye a publiquement adoubé son Premier ministre. En affirmant n’avoir aucun conflit avec Ousmane Sonko, il a fermé la porte aux spéculations, aux fantasmes, aux constructions fiévreuses d’une opposition désorientée. Mieux, il a parlé d’amitié. Et ce mot-là, dans le contexte, a agi comme un baume.
Mais à peine ce soulagement installé qu’un autre mot a semé le trouble : réconciliation.
C’est un mot chargé. Un mot qui renvoie à l’idée d’un passé douloureux, à une cassure nationale, à des plaies qui, pour beaucoup, saignent encore. Un mot qui appelle à la paix, certes. Mais qui, lorsqu’il est prononcé sans précaution, sans cadre et sans justice, devient presque une offense.
Se réconcilier, oui. Mais avec qui ? Et sur quelle base ?
Le peuple sénégalais n’est pas dans l’incompréhension. Il a entendu. Il a vu. Il sait ce que l’équipe gouvernementale a trouvé en arrivant : une dette abyssale, des caisses vidées, des marchés de gré à gré, un Etat en panne, une gouvernance prédatrice. On lui a parlé de gabegie, de pillage systémique, d’assassinats économiques. Il a compris. Il a encaissé. Et surtout, il a résisté.
Car c’est un peuple résilient, intelligent, endurant. Il sait que les défis économiques sont immenses. Il sait que le redressement sera difficile. Il sait que les ressources sont limitées. Mais il demande une seule chose : que justice soit faite.
On ne réconcilie pas un peuple avec ses bourreaux sans lui demander son avis. On ne tend pas la main à ceux qui ont tiré sans jamais les avoir interrogés. On ne célèbre pas la paix en sautant l’étape de la justice. Et surtout, on ne parle pas d’avenir quand le passé n’a pas encore été nommé.
Devant un bol bien garni, on a le ventre noué quand on pense à son frère tué, à son oncle emporté, à son enfant abattu. Le progrès économique, même réel, ne nourrit pas une conscience blessée. Il la trouble. Il la pousse au retrait. Il la fait douter du sens même de la réussite.
La justice n’est pas une option. Elle est le socle.
C’est elle qui rend possible une paix durable. C’est elle qui restaure la confiance. C’est elle qui autorise le pardon.
Sinon, ce n’est pas une réconciliation. C’est une reddition.
Et l’histoire est formelle. L’Afrique du Sud ne s’est pas réconciliée sans vérité. Le Rwanda n’a pas pansé ses blessures sans procès. L’Argentine n’a pas fermé les yeux sur ses bourreaux. Aucune Nation au monde n’a bâti un vivre-ensemble solide sur un déni de justice. Aucune.
Le Président a raison d’appeler à la stabilité. Il a raison de vouloir faire vite. Il a raison de chercher la paix. Mais le peuple ne demande pas la guerre. Il demande la reconnaissance. Il demande que les martyrs ne soient pas effacés par les courbes de croissance. Il demande que les fautes soient dites, que les responsables soient nommés, que les crimes ne soient pas relégués au rang de simples accidents de parcours.
La paix, oui. Mais une paix avec mémoire. Une paix lucide. Une paix fondée sur la justice, pas sur l’oubli.
Car au fond, ce n’est pas de vengeance qu’il est question. C’est de dignité. C’est de fidélité. C’est de cohérence entre les discours d’hier et les décisions d’aujourd’hui.
Sinon, on fabrique du ressentiment. Et avec le ressentiment, aucune République ne tient debout.
L’amitié affichée entre Diomaye et Sonko a eu l’effet d’un signal politique fort. Mais les mots du Président sur la réconciliation ont ouvert un espace de doute. Il faudra le refermer. Non pas par des explications. Mais par des actes. Des enquêtes. Des procès. Des sanctions. De la vérité.
C’est à ce prix que la paix viendra. C’est à ce prix que l’unité sera réelle. C’est à ce prix que les larmes auront enfin un sens.