Par Mamadou Sèye
A peine un an après son investiture, le président Bassirou Diomaye Faye a orchestré un dialogue national aux allures de refondation démocratique. Loin d’un exercice formel, cette séquence politique marque un tournant méthodologique : la concertation devient outil de gouvernance. Retour sur un moment dense, traversé d’accords, de tensions, mais aussi d’une puissante espérance.
Le dialogue national initié par le président Bassirou Diomaye Faye, clos le 4 juin 2025, s’inscrit dans un moment charnière de la vie politique sénégalaise. Moins de trois mois après son investiture, l’ancien prisonnier politique devenu chef de l’Etat réussit l’audace de convoquer la Nation autour d’une table pour réfléchir à son avenir institutionnel, électoral et démocratique. Ce geste n’a rien d’anodin. Il rompt avec une tradition de verticalité autoritaire qui avait trop longtemps relégué l’écoute à une posture décorative. Ici, le dialogue n’a pas été un ornement de discours, mais un acte de gouvernement.
Dans un pays encore marqué par les secousses électorales de mars 2024, la dissolution des tensions par la parole et la négociation apparaît comme une exigence. Le président Diomaye l’a compris. Il a pris le risque politique d’ouvrir grand les fenêtres d’un débat qu’il savait contradictoire. Les commissions mises en place ont ainsi brassé des questions sensibles : organisation des élections, réforme judiciaire, statut de l’opposition, libertés publiques. Sur tous ces sujets, l’hétérogénéité des opinions n’a pas été esquivée. Elle a été accueillie, digérée, transformée.
Les avancées issues de ce dialogue sont loin d’être anecdotiques. L’introduction du bulletin unique est un progrès démocratique tangible. Il simplifie l’acte de vote, réduit les coûts et empêche la manipulation logistique. Le droit de vote accordé aux personnes en détention préventive est une victoire de la citoyenneté pleine et entière, qui rappelle que l’humanité d’un Etat se mesure à sa capacité d’inclure ceux qu’il retient. L’organisation d’un débat télévisé entre les deux finalistes à la présidentielle, désormais formalisée, est une consécration de la transparence politique. Que la campagne électorale soit maintenue à 21 jours montre aussi que le souci d’efficacité ne l’a pas emporté sur l’exigence de visibilité politique.
Mais tout ne fut pas consensus, et c’est tant mieux. Un vrai dialogue ne cherche pas à lisser les différences ; il les expose pour mieux les appréhender. Le désaccord sur le statut du chef de l’opposition, par exemple, illustre deux visions légitimes de la représentativité politique. Le PDS, nostalgique d’un certain parlementarisme fort, veut l’ancrer dans les législatives. Le camp présidentiel, lui, veut refléter le choix direct du peuple à travers la présidentielle. Le débat sur l’article 80 du code pénal – souvent critiqué pour ses dérives liberticides – oppose encore la mémoire des anciens abus à la prudence sécuritaire des nouveaux dirigeants. Quant à la question du cumul des mandats ou de la nature du régime politique, elle témoigne d’un pays encore en réflexion sur la meilleure forme d’équilibre des pouvoirs.
Ce qu’il faut magnifier ici, c’est moins le détail de tel ou tel accord que la méthode. En choisissant de dialoguer d’emblée, Bassirou Diomaye Faye s’est placé dans une tradition exigeante : celle des réformateurs qui préfèrent l’écoute au coup de force, le processus à la brutalité. Il aurait pu gouverner par ordonnances, invoquer le mandat populaire comme blanc-seing. Il a préféré s’asseoir à la table commune, écouter ses adversaires, faire place à la société civile, reconnaître la pluralité du Sénégal. C’est là un acte de rupture, une manière d’installer sa présidence sous le signe de la légitimité renforcée, construite dans le débat et non dans le mépris des contre-pouvoirs.
Le dialogue national, ainsi mené, devient un outil de maturation collective. Il permet de clarifier les désaccords sans les diaboliser, de bâtir des convergences sans nier les identités politiques. Il ne prétend pas tout résoudre, mais il donne un cap, une respiration, une méthode. Le président Diomaye, en homme d’Etat attentif et stratège sobre, aura compris que la solidité d’un pouvoir ne repose pas sur le silence des autres, mais sur la qualité de leur écoute. Ce dialogue n’a pas simplement ouvert des perspectives juridiques ; il a rouvert une espérance démocratique.
Il appartient maintenant au chef de l’Etat d’orchestrer le passage du dire à l’agir. Le peuple, qui a voté massivement pour un changement de style et de système, observe. Le dialogue aura été un début, une scène fondatrice. Pour que l’histoire politique récente du Sénégal entre dans une nouvelle ère, il faudra que les actes suivent les mots, que les lois traduisent les intentions, que les pratiques institutionnelles témoignent d’un tournant. Si cela advient, ce premier dialogue de l’ère Diomaye ne sera pas seulement un événement. Il deviendra un jalon. Peut-être même un modèle.