Par Mamadou Sèye
Dans la jungle du vacarme politicien, certaines postures valent davantage que mille discours. Le « mépris souverain », longtemps outil d’hygiène intellectuelle à l’université, trouve aujourd’hui un écho inattendu dans l’attitude d’Ousmane Sonko face à ses détracteurs. Il ne méprise pas par instinct, mais par nécessité. Et parfois, c’est la seule réponse à ce qui s’acharne à ne pas mériter de réponse.
A l’université, nous avions une arme secrète. Elle ne figurait dans aucun syllabus, ne faisait l’objet d’aucun cours magistral, mais elle s’exerçait avec rigueur entre les murs des amphis et au cœur de nos joutes verbales : le mépris souverain.
Ce n’était pas un rejet méchant ni une suffisance creuse. C’était un choix. Un filtre mental. Une discipline de l’esprit. Face à certaines assertions ridicules, à des raisonnements tordus ou à des personnages dont l’inconsistance frisait l’imposture, nous opposions un silence froid, presque clinique. Pas de débat. Pas d’indignation. Juste un regard vide, puis le détour. Le mépris souverain, c’était cela : un refus de gaspiller l’intelligence là où elle n’a aucune chance de féconder quoi que ce soit.
Aujourd’hui encore, ce concept me revient avec force. Et à vrai dire, il trouve en Ousmane Sonko une incarnation presque pédagogique.
Depuis des années, l’homme fait l’objet d’un pilonnage quotidien. Accusations multiples, lectures biaisées, procès d’intention déguisés en analyses sérieuses, et commentaires venimeux en boucle sur les plateaux télé : tout y passe. Il a connu la calomnie en prime time, les procès en sorcellerie idéologique, les attaques personnelles sournoises. Et pourtant, au fil du temps, il a cessé de répondre à tout. Il ne s’explique plus pour convaincre ceux qui ne l’écoutent que pour mieux le condamner. Il ne commente plus les narratifs écrits d’avance. Il laisse dire, il laisse crier, et parfois, il laisse mentir.
Ce n’est pas du mépris hautain. C’est une stratégie. Un retranchement mental contre le bruit. Une forme d’économie de la parole devenue rare en politique, où l’on parle trop souvent pour ne rien dire. Sonko, lui, semble avoir compris que répondre à tout, c’est courir le risque de se perdre dans l’absurde. Alors il choisit ses batailles. Il ne répond plus à tous les chiens qui aboient sur son passage. Il trace sa route, imperméable au vacarme.
Ce n’est pas que les attaques ne le touchent pas. Mais elles n’atteignent plus ce qu’il considère comme essentiel. Et c’est là, peut-être, sa forme la plus subtile de résistance : refuser d’être aspiré par les logiques mesquines du commentaire, ne pas offrir à l’insignifiant le luxe de sa réaction. Une posture qui rappelle parfois celle d’un boxeur aguerri, qui esquive plus qu’il ne frappe, parce qu’il connaît la valeur de son énergie.
Alors oui, Sonko cultive une certaine distance. Il choisit ses silences. Il pratique ce que nous appelions autrefois le mépris souverain, rebaptisé ici lucidité stratégique. Car face à l’indignité constante, parfois le silence n’est pas une fuite : c’est une forme de domination.