Par Mamadou Sèye
Le pays s’est offert hier soir un moment de grâce. Une pause sans mot d’ordre, sans communiqué ni breaking news. Juste un couvercle soulevé, une odeur de cannelle et de viande qui flotte dans l’air, et cette certitude nationale : c’est le soir du couscous.
A l’occasion de l’Achoura, devenue au fil du temps la grande nuit sénégalaise du couscous, les tensions habituelles se sont évaporées avec la vapeur des marmites. Plus de « nous contre eux », plus de clashs numériques : même l’opposition de salon, celle qui se bat vaillamment sur Facebook depuis un canapé, a pris congé hier soir. Il faut dire qu’écrire des pamphlets la bouche pleine, c’est tout un art.
Pendant que les familles cuisinaient et que les enfants rivalisaient d’enthousiasme, le pays avait trouvé sa paix. Temporaire, mais sincère. Les disputes tournaient autour du bon dosage de sucre, du calibre de la viande, ou de la quantité de raisins. Certains faisaient le tour des maisons pour comparer les recettes — toujours sous prétexte de « présenter les salutations ».
Et pourtant, au milieu de cette soirée placée sous le signe de la semoule, une scène a rappelé que les foules savent encore se déplacer… pour autre chose que du thiéré. A Cambérène, un homme est arrivé pour présenter des condoléances. Sans annonce tapageuse, sans protocole excessif. Il pensait peut-être faire un passage discret. Mais la foule, elle, n’a pas mangé de cette graine-là. Elle l’a vu, elle a accouru. Comme pour rappeler que dans ce pays, la connexion entre un leader et son peuple ne dépend ni du Wi-Fi, ni des hashtags.
Ce matin, la digestion est à la fois biologique et symbolique. On digère le couscous… et certains digèrent aussi des vérités politiques. L’unité ne se décrète pas, elle se vit. Dans la rue, dans les cuisines, et parfois à travers un simple geste de condoléances.
Bon dimanche, et bon appétit à ceux qui continuent les hostilités gastronomiques avec les restes. Quant aux combattants du clavier, on les retrouve sûrement ce soir, après sieste et infusion.