Par Mamadou Sèye
L’expression est tombée hier dans une conversation aussi informelle qu’inspirée. C’est un ami, esprit fin et lucide, qui a eu cette formule percutante à propos de certains membres de l’opposition :
« Ils font du bruit, mais ils ne dérangent pas. »
Une phrase lapidaire, qui mêle ironie et justesse, et qui m’a arraché un rire franc. Mais en y repensant, il m’est apparu que cette remarque, au-delà de la plaisanterie, portait en elle une analyse politique d’une profondeur redoutable.
Car c’est bien cela : ils font du bruit — mais ils ne dérangent pas.
Et dans un pays en pleine recomposition politique, cette distinction est essentielle. Le bruit est facile à produire : il suffit de quelques statuts rageurs sur Facebook, de vidéos filmées à l’arrache, de phrases chocs mal camouflées en opinions éclairées. Le bruit est gratuit, immédiat, spectaculaire. Mais il ne remue rien. Il ne fait pas vaciller un régime. Il ne modifie aucun rapport de force.
Déranger, en revanche, c’est une autre affaire.
Déranger, c’est interroger les équilibres.
C’est forcer le pouvoir à répondre, c’est inquiéter les tenants de l’ordre établi, c’est susciter la crainte, la réplique, la contre-offensive. Et dans le Sénégal d’aujourd’hui, disons-le clairement : très peu de voix dérangent. Très peu de figures bousculent vraiment les lignes.
Ceux que vise mon ami — et il a raison — se sont installés dans une opposition d’apparat, faite de joutes verbales, de slogans faciles, et de postures aussi prévisibles que stériles. Ils parlent haut, mais pèsent peu. Ils dénoncent avec emphase, mais sans impact. Ils font tapage, mais jamais histoire.
Leur terrain de jeu ? Les réseaux sociaux.
Un espace sans filtres ni hiérarchie, où l’on peut improviser une indignation permanente et se fabriquer un destin de commentateur national. Mais en réalité, cette agitation numérique reste un théâtre d’ombres. Les vrais acteurs, eux, sont ailleurs : dans les sphères de décision, dans les arènes électorales, dans les dynamiques de terrain.
La politique, la vraie, exige plus que des punchlines. Elle réclame de la stratégie, de la persévérance, du contact humain, une connaissance intime des aspirations populaires. Elle exige aussi du courage, celui de sortir du confort de l’entre-soi numérique pour aller affronter la complexité du réel. Ceux qui n’ont ni base, ni relais, ni légitimité construite dans la durée, peuvent bien tonner à longueur de journée : ils n’ébranlent rien, et n’influencent personne d’autre qu’eux-mêmes.
Dans ce contexte, il faut rendre justice à ceux qui, quelles que soient leurs orientations, ont accepté de jouer dans la cour du réel.
Il y a d’abord cette nouvelle majorité, portée par le duo Diomaye–Sonko, qui n’a pas gagné le pouvoir à coups de hashtags, mais en enracinant une offre politique dans la société sénégalaise.
Il y a aussi quelques voix critiques, courageuses et lucides, qui refusent le confort du commentaire sans prise. Ceux-là sont rares. Mais ils existent.
Et c’est à eux qu’il faut prêter l’oreille.
A l’inverse, ceux qui continuent à crier dans le désert numérique doivent entendre ce rappel brutal :
faire du bruit n’est pas faire de la politique.
Et ceux qui se contentent d’agiter le vide en croyant manipuler l’opinion se condamnent à l’irrélevance, ce mot cruel mais juste qui désigne l’inexistence politique malgré la présence visible.
Le peuple sénégalais est attentif, mais pas dupe.
Il reconnaît les vrais débats, les vrais acteurs, les vrais enjeux. Il distingue le vacarme de la voix. Et il ne se mobilisera jamais pour de simples échos.
Oui, ils font du bruit.
Mais non, ils ne dérangent pas.