Donald Trump, l’Afrique et l’injure permanente : pourquoi nous devons répondre autrement

Par Mamadou Sèye

Il y a des phrases qu’on n’oublie pas. Certaines giflent plus que mille bombes. Celle de Donald Trump, qualifiant des pays africains de “shithole countries” (des pays de merde), n’est pas simplement une insulte de plus. C’est l’expression nue de ce que les puissances dominantes pensent encore, au fond d’elles-mêmes, d’un continent qu’elles ont pillé, infantilisé, caricaturé.

Et voilà qu’il récidive. Désormais réélu président des États-Unis, Donald Trump remet en marche sa vieille machine : réduire l’immigration, verrouiller l’Amérique, dresser des barrières contre ceux qu’il considère comme des poids morts de l’humanité. Il promet d’interdire l’entrée aux ressortissants de pays “instables, hostiles ou incontrôlables”. Et l’Afrique, une fois encore, est clairement visée. Les démocraties occidentales s’indignent à voix basse, mais personne ne rompt réellement avec cette vieille logique de tri racial et géopolitique.

Mais Trump n’a pas innové. Il a juste parlé plus fort. Il a dit tout haut ce que d’autres maquillent dans le langage diplomatique. Le vrai scandale, ce n’est pas Trump. C’est que certains Africains se comportent comme s’il avait raison.

Car pendant que l’Afrique bruisse d’énergie, de jeunesse, de matières premières, d’initiatives, certains dirigeants veulent mourir au pouvoir, embaumer la Constitution et étouffer l’avenir. Pendant que le monde se reconfigure, Paul Biya pense rempiler à 91 ans, Ouattara s’installe dans une monarchie électorale, Déby fils hérite du trône sous les applaudissements de ses pairs, et d’autres manipulent leur Loi fondamentale, comme Blaise Compaoré tenta de le faire en modifiant l’article 37 au Burkina Faso… jusqu’à ce que le peuple dise non.

« La révolution n’est pas un dîner de gala. C’est un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre. » disait Mao . La vraie violence aujourd’hui, ce n’est pas celle des fusils. C’est celle de la résignation. L’Afrique est là, vibrante, explosive, prête à bondir — mais elle reste ligotée par des générations de dirigeants qui confondent leadership et propriété, patriotisme et clientélisme, stabilité et stagnation.

Dans ce contexte, les propos de Trump ne sont pas un accident verbal, mais un projet politique. Un projet qui vise à fermer l’Amérique aux jeunes Africains, aux étudiants, aux travailleurs qualifiés, au prétexte que leur présence serait un fardeau. Ce sont là des paroles chargées de mépris racial, qui entendent redessiner le monde sur des lignes de couleur et de domination.

Mais le plus grand obstacle à l’émancipation africaine, ce n’est plus l’étranger. C’est la complicité intérieure. C’est cette classe politique africaine qui s’aplatit à l’extérieur et s’érige en despote à l’intérieur.

Et pourtant, l’heure est historique. Jamais depuis les indépendances l’Afrique n’a eu autant d’opportunités de basculer. La guerre entre Israël et l’Iran, les tensions russo-occidentales, la montée des BRICS, les reculs de l’influence française, tout indique un monde instable, prêt à écouter ceux qui savent parler d’une seule voix.

« L’Afrique doit s’unir ou périr. » disait Kwame Nkrumah. C’est là que le Sénégal de Diomaye et Sonko envoie un signal fort. En refusant de faire de Paris ou de Washington leur première destination, en visitant Bamako, Ouagadougou, Bissau, Abuja, ils disent ce que nos peuples attendaient depuis longtemps : que l’Afrique commence par elle-même.

Ce n’est pas un simple déplacement protocolaire. C’est un positionnement stratégique. La dénomination même du ministère – “de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères” – renverse l’ordre ancien. Le continent d’abord. Les autres ensuite.

« Nous devons oser inventer l’avenir. » disait Thomas Sankara. Et cet avenir, n’est pas américain. Il n’est pas chinois. Il est africain. Oui, nous commercerons avec Pékin, discuterons avec Washington, négocierons avec Moscou. Mais nous ne serons plus alignés, aliénés, anesthésiés. Nous ne voulons pas d’un monde multipolaire où l’Afrique est toujours au sous-sol.

La meilleure réponse à Trump, ce n’est pas l’indignation, ni les tweets offusqués. C’est la construction patiente d’un continent fort, souverain, digne. La meilleure réponse à Biya et consorts, ce n’est pas la plainte, c’est la relève générationnelle, la reconquête institutionnelle, la décolonisation mentale.

L’Afrique avance. Dans la douleur parfois. Dans la confusion souvent. Mais elle avance. Et cette fois, elle n’attendra ni Dieu, ni l’Occident, ni un troisième mandat pour s’affirmer.

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