Le Pari de l’Honneur et de la Maîtrise : quand le Sénégal assume sa souveraineté budgétaire

Par Mamadou Seye

Il y a des silences qui valent aveu. Depuis plusieurs semaines, les oiseaux de mauvais augure attendent, tapis dans l’ombre, un signal, une faille, une alerte rouge. Ils espèrent un trou dans la caisse, un retard de salaire, une convulsion financière. En vain. Le Sénégal paie ses fonctionnaires à date échue. Il maintient ses investissements. Il assure ses missions régaliennes. Et pourtant, il le fait sans le soutien immédiat du FMI ni celui de la Banque mondiale. C’est là que réside le vrai séisme — un séisme de souveraineté.

Car oui, les nouvelles autorités sénégalaises, issues d’un vote populaire clair et massif, n’ont pas tremblé devant l’état réel des finances publiques hérité. Elles ont fait face. D’abord par le courage de la vérité : publier un audit rigoureux, accepter la gifle statistique et révéler une dette culminant à près de 99 % du PIB, loin, très loin des fictions comptables d’hier. Ensuite par la rigueur de l’action : payer sans FMI, investir sans paternalisme, et rétablir l’équilibre sans austérité aveugle.

On oublie souvent qu’aucun pays africain, en pareille situation, n’a choisi d’auditer de manière aussi frontale son héritage budgétaire. C’était un saut dans l’inconnu. Mais le gouvernement l’a fait. Loin d’y voir un obstacle, le FMI a salué cette démarche. Il s’agit là d’un tournant méthodologique : ce ne sont plus les institutions financières internationales qui imposent un audit, c’est l’Etat lui-même qui exige la clarté avant tout engagement. Et c’est cela la révolution : la transparence devient un outil de gouvernement, pas une contrainte imposée de l’extérieur.

Certains esprits grincheux, qui faisaient hier chorus avec les bailleurs, s’étonnent qu’un gouvernement « sans appui budgétaire » puisse payer ses fonctionnaires, lancer des chantiers, refinancer sa dette. Faut-il leur rappeler que le Sénégal, même en période de crise, dispose d’un tissu fiscal solide, de marchés financiers crédibles, et d’une diaspora qui croit plus que jamais en sa Nation ?

Par deux fois, le pays a levé des centaines de milliards FCFA sur les marchés régionaux et internationaux. Pas en quémandant, mais en inspirant confiance. La dernière émission obligataire, souscrite intégralement avec des garanties bancaires solides, n’a pas seulement permis de boucler des engagements : elle a envoyé un message. Le Sénégal est gouverné, tenu, assumé. Et il le fait en refusant de matraquer les populations. Le Premier ministre l’a répété : l’effort fiscal portera sur la justice et l’efficacité, pas sur l’asphyxie des plus faibles.

À cette équation maîtrisée s’ajoute désormais une autre carte, longtemps attendue : celle de l’or noir et du gaz bleu. Le Sénégal est officiellement entré dans le cercle des pays producteurs. Et pourtant, aucune euphorie budgétaire, aucune fanfare démagogique. Le pétrole n’est pas brandi comme un trophée, mais intégré comme une variable de projection sérieuse, à moyen terme. Cela rassure les marchés, crédibilise les emprunts et donne au gouvernement une marge d’anticipation inédite. Pour une fois, la manne énergétique n’est pas invoquée comme solution miracle, mais inscrite dans une stratégie nationale sobre, lucide, responsable.

Non, le Sénégal nouveau ne gouverne pas par communication, mais par documentation. Il ne cherche pas à rassurer les colonnes d’un journal économique occidental : il produit, chiffre, vérifie. Cela peut paraître moins flamboyant, mais c’est infiniment plus solide. En quelques semaines, un budget plus réaliste a été proposé, un calendrier de remboursement de la dette redéfini, des projets ciblés remis au cœur de l’agenda public. Ici, pas de grand-messes creuses, mais un retour aux fondamentaux.

Une partie de la presse, frustrée de ne plus avoir ses entrées faciles dans les cercles de l’Etat, se rêve en vigie économique. Mais au lieu d’analyser, elle brode. Au lieu d’interroger, elle insinue. Elle aurait aimé que la machine budgétaire cale. Elle aurait voulu, pour mieux dire « on vous l’avait dit », que les salaires ne tombent plus. A défaut d’une crise réelle, elle s’invente une crise virtuelle. Or, dans les faits, tout fonctionne. Mieux encore : les leviers de réforme structurelle — fiscalité, subventions ciblées, audits publics, gouvernance foncière — sont activés avec méthode. Ce qui dérange n’est pas tant le programme du nouveau pouvoir, que sa capacité à tenir sans demander la permission.

Le Sénégal est en train de prouver que l’on peut naviguer hors des sentiers battus sans chavirer. Que l’on peut dire la vérité sur la dette sans paniquer les marchés. Que l’on peut sortir des rails d’un pilotage par télécommande sans sombrer dans l’improvisation. Certes, les défis sont immenses. Les négociations avec le FMI se poursuivent. Les attentes sociales sont vives. Mais l’essentiel est là : un cap clair, une parole tenue, une promesse de rupture qui devient progressivement réalité.

Dans un monde où beaucoup d’Etats plient sous les diktats de la dette, le Sénégal tente une expérience rare : être à la fois responsable, crédible, et libre. Cela ne fait pas la une des journaux bien-pensants. Cela ne plaît pas aux rentiers de l’ancien système. Mais cela redonne de la fierté à un peuple qui, pour une fois, voit ses dirigeants prendre ses intérêts à bras-le-corps.

La vraie surprise, ce n’est pas que les salaires soient payés sans le FMI. C’est que cela ait surpris certains.


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