Par Mamadou Sèye
Depuis plusieurs jours , un débat nocif, inutilement inflammable, s’est installé dans l’espace public autour de la présence du Dr Abdourahmane Diouf au gouvernement. Loin de s’estomper, cette polémique nourrit un climat délétère, alimente les suspicions politiques et fragilise la cohésion d’une équipe exécutive qui doit travailler dans la sérénité. Il ne s’agit plus d’une simple divergence d’opinion : c’est désormais un problème institutionnel.
Contrairement à ce qu’imaginent certains, il ne s’agit pas de descendre l’homme, ni de questionner son parcours universitaire. Il s’agit plutôt de reconnaître une évidence politique : lorsqu’un ministre devient l’épicentre d’un débat clivant, lorsqu’il polarise militants et cadres, lorsqu’il offre à l’opposition un confort argumentaire, il cesse d’être un atout et devient un risque calculé. Et un gouvernement n’a pas vocation à vivre avec des risques évitables.
Il faut rappeler que le Dr Diouf est arrivé tard dans la coalition « Diomaye Président », sans base politique significative, peinant auparavant à réunir les parrainages nécessaires. Sa légitimité électorale est fragile et son influence militante reste contingente. Aujourd’hui, sa présence est plus gênante que utile pour le Président lui-même, qui n’a aucun intérêt à porter le poids d’une polémique privée devenue publique.
Depuis son entrée au gouvernement, ses prises de position, ses nuances, parfois ses silences, ont fini par créer un doute : cherche-t-il à servir un projet collectif, ou à bâtir une marque personnelle, parallèle, voire concurrente ? L’ambiguïté est devenue son ombre. Mais dans un gouvernement de rupture, l’ambiguïté est un luxe que personne ne peut se permettre.
Hier encore, lors d’un rassemblement de son parti, de nouvelles déclarations ont ravivé une braise déjà rouge. Comment peut-on demeurer ministre en étant simultanément le porte-voix d’une structure partisane qui semble se positionner en diagonale, sinon à contre-courant, de la ligne du gouvernement ? Deux loyautés ne cohabitent jamais sereinement dans un seul fauteuil ministériel.
Le plus grave est ailleurs : ce feuilleton déplace l’attention des Sénégalais des urgences nationales — vie chère, emploi des jeunes, souveraineté économique, réformes de l’Etat — vers une comédie politique improductive. Le pays n’a pas une minute à perdre avec des querelles d’ego.
Certains prônent l’attentisme. Erreur. En communication politique, laisser pourrir un débat, c’est s’enchaîner à lui. Laisser planer un soupçon, c’est l’officialiser. Un gouvernement qui se veut moral, éthique et historique ne peut pas être le refuge du double langage.
On évoque parfois sa compétence. Elle n’est pas en cause. Mais la première compétence en politique, c’est la confiance. Et quand la confiance se fissure, la compétence ne répare rien. Elle masque, temporairement. Elle n’efface pas.
Et puis, soyons clairs : le Président n’a pas besoin d’un quelconque “bloc” parallèle autour de lui. Il a son bouclier naturel : son Premier ministre, son parti PASTEF, ses alliés historiques, son socle générationnel et idéologique. Tout le reste, par excès ou calcul, devient superstucture inutile. Les Présidents ne perdent pas sur les adversités assumées ; ils perdent sur les ambiguïtés tolérées.
Dès lors, il reste une seule sortie honorable : partir de lui-même. Déposer, volontairement, le poids de la polémique. Libérer le gouvernement d’une gêne structurelle. Préserver l’image d’un chef d’Etat qui n’a pas été porté au pouvoir pour arbitrer des vanités. Plus il tardera, plus la défénestration deviendra inéluctable, brutale, publique.
S’il est aussi intelligent qu’on le dit, il comprendra que le moment est venu de servir autrement. Car dans une République responsable, lorsque la polémique prend le pas sur la fonction, ce n’est jamais la République qui doit plier.