Par Mamadou Sèye
Camarades, un débat aussi inattendu que révélateur secoue aujourd’hui certains états-majors de l’opposition. A peine la marche autorisée a-t-elle été tenue que des langues, longtemps maintenues sous scellés, commencent à se délier. Sur les réseaux sociaux, des jeunes jusque-là abonnés au mutisme ont décidé de rompre la loi du silence. Ils s’insurgent contre la modicité des sommes qui leur étaient proposées pour grossir les rangs : 5 000 francs CFA. Une somme jugée humiliante, dérisoire, et qui en dit long sur la manière dont on conçoit — et rémunère — la citoyenneté lorsqu’elle est mise en location. Le débat gagne en intensité parce qu’il touche à un mal plus profond : la crise de capacité mobilisatrice au sein d’une opposition fragmentée, sans boussole idéologique, et qui peine à enrôler durablement des militants convaincus.
La colère est d’autant plus vive que les bailleurs — ces discrets mécènes tapis dans l’ombre des contestations — sont extrêmement remontés. Les images qu’ils ont reçues, non pas celles trafiquées avec Photoshop et zooms complaisants, mais les vrais clichés, dénués de mise en scène, révèlent une vérité brutale : la manifestation était clairsemée, diluée dans le vide, presque fantomatique. Et pourtant, affirment plusieurs sources internes, un budget conséquent avait été débloqué. La question cogne du poing : où est passé l’argent ? Comment un tel écart entre investissement financier et présence humaine est-il possible ? Ce qui devait être une démonstration de force s’est transformé en aveu de faiblesse.
On découvre alors que la mobilisation n’est pas une affaire qui se bricole. Une foule ne s’assemble pas en claquant des doigts, encore moins en distribuant des billets froissés sur un coin de table. Il faut du réseau, du leadership, de la conviction, de la légitimité. L’opposition, ou plutôt ce qui en tient lieu, semble en être réduite à mimer des dynamiques sociales qu’elle ne maîtrise plus. Dans un contexte où l’opinion publique observe, évalue et compare, chaque faux pas est un aveu. Les jeunes révoltés ne s’attaquent pas seulement à une somme ; ils dénoncent l’improvisation permanente, le manque de vision, le mépris latent dont sont victimes les bases.
A ce contraste saisissant vient s’opposer un autre phénomène : la capacité fulgurante d’un seul homme à aimanter les foules. Le leader de PASTEF, qui convoque le rassemblement du 8 novembre, s’apprête, selon toutes les projections, à battre un record d’affluence. Il ne s’agit pas d’une “annonce” le concernant ; il appelle, il discipline, il mobilise. Et qu’on l’aime ou non, il faut reconnaître que sa machine militante fonctionne sans primes, sans location de foules, sans distribution d’enveloppes obèses. Sa sociologie est organique : jeunes diplômés, artisans, commerçants, fonctionnaires, diaspora, classes populaires et moyennes. Il incarne quelque chose, là où d’autres se contentent d’agiter.
Cette différence structurelle crée un malaise chez ses adversaires politiques. Car la tentative désespérée de certains segments de l’opposition consiste, non pas à construire un discours alternatif, mais à acheter du temps et des silhouettes pour donner l’illusion d’un élan populaire. Dans la rue, la manipulation est instantanément sanctionnée. Le peuple sait reconnaître l’authentique du factice. La preuve : les réseaux sociaux se sont mués en tribunaux populaires où de jeunes participants décrivent, sans filtre, comment on leur a proposé 5 000 francs pour servir de décor humain. C’est dire à quel point l’argent est devenu l’ultime argument de recrutement.
Cette crise interne fait aussi remonter des rancœurs qui couvaient depuis longtemps. Plusieurs militants de seconde ligne dénoncent la captation des ressources par un petit cercle, l’absence de comptes rendus financiers et cette culture du secret qui gangrène les alliances de circonstance. On découvre des organisations politiques qui fonctionnent encore selon des schémas archaïques : pas de transparence, pas de reddition, pas de gestion rigoureuse. A l’heure où chaque dépense circule dans les conversations Telegram et WhatsApp, l’opinion exige des explications.
Pendant ce temps, la communication de la majorité peut dormir tranquille. La faiblesse ne vient plus seulement de l’attaque extérieure, mais de l’effritement intérieur du camp adverse. Les fissures sont visibles : accusations croisées, soupçons de détournement, militants désabusés qui parlent d’« investissement sans retour ». Et les bailleurs, ceux-là mêmes qui tiennent les robinets, pourraient finir par tourner la manivelle. Car que redoute un sponsor politique ? Investir dans du vide.
La scène rappelle une vérité brutale de la politique sénégalaise contemporaine : les foules ne s’achètent pas. Elles se séduisent, se conquièrent, se construisent. Ceux qui ont misé sur la rente émotionnelle ou sur le chéquier pour compenser un déficit de charisme courent droit vers l’humiliation. Les manifestations clairsemées sont le thermomètre impitoyable du désengagement populaire. Et chaque image aérienne, chaque vidéo panoramique, est une gifle symbolique.
Les jeunes qui dénoncent la prime de 5 000 francs vont plus loin : ils parlent de démobilisation volontaire et de boycott interne. Ils expliquent que certains segments militants ont décidé de rester volontairement chez eux pour sanctionner les dirigeants, qu’ils jugent arrogants ou déconnectés. Le problème n’est donc pas seulement financier ; il est politique. Un élu ou un leader sans base réelle devient un général sans soldats.
Face à ce naufrage, on observe chez certains responsables des tentatives maladroites de justification. Ils parlent d’« infiltration », de « sabotage », de « mauvaise communication ». Mais la réalité, têtue, se résume en une phrase : la rue ne ment jamais. Et quand elle refuse de se déplacer, c’est tout un projet qui s’effondre.
Pendant ce temps, l’autre camp prépare tranquillement une démonstration de puissance le 8 novembre, non pas parce qu’on y annonce quelqu’un, mais parce qu’on y répond à une convocation. La mobilisation y sera convictionnelle, non salariale. Ce contraste suffira à redessiner la perception publique : d’un côté, un rassemblement organique, massif, spontané ; de l’autre, une poignée de silhouettes rémunérées au SMIC protestataire, filmées sous des angles indulgents.
Ce débat, en apparence trivial, révèle en profondeur un enjeu majeur : la recomposition silencieuse du leadership national. Car un mouvement qui doit payer pour exister est déjà mort dans les consciences. L’énergie militante ne se loue pas. Le courage ne se contractualise pas. La conviction ne s’achète pas.