Elimane Kane ou l’art de la perfidie civilisée : quand le vernis citoyen masque la revanche personnelle

Par Mamadou Sèye

Il faut parfois gratter le vernis des bonnes intentions pour voir apparaître les fractures d’ego, les rides de frustration, les cernes de la revanche. Sous les habits feutrés du citoyen soucieux de l’équilibre républicain, Elimane Kane a signé, dans une récente sortie relayée par la presse, un attentat verbal déguisé en diagnostic médical : selon lui, le Premier ministre Ousmane Sonko et certains de ses partisans devraient être « pris en charge psychologiquement ». Une déclaration habillée de sollicitude mais chargée d’un venin qui n’a échappé à personne. La société civile sénégalaise, qui a longtemps joué un rôle de veille salutaire, semble aujourd’hui abriter en son sein des élites refoulées du pouvoir, déçues de n’avoir pas été conviées à la table du changement. Elimane Kane est, à cet égard, plus qu’un simple observateur : il incarne cette bourgeoisie morale qui rêve de gouverner sans jamais se salir au combat électoral. Le propos sur la santé mentale de Sonko ne relève pas d’une alerte républicaine. C’est le cri étouffé d’un orgueil blessé.

Les dictatures soignent leurs opposants à coups de camisoles. Les démocraties malades les déclarent instables. C’est plus propre, plus chic, plus perfide. C’est exactement ce qu’a tenté Elimane Kane : faire passer un discrédit politique pour un conseil médical, avec le sourire du bienfaiteur. Il ne dit pas : « Sonko se trompe », « Sonko exagère », « Sonko échoue ». Il dit : « Sonko est mentalement affecté. Il faut le suivre psychologiquement. » Et dans le même mouvement, il étend le soupçon à tout un camp, les « pastefiens », comme on pointerait une communauté contaminée. C’est un classique de la disqualification douce : réduire l’adversaire à une instabilité supposée pour éviter de l’affronter politiquement. Ce n’est plus un débat d’idées, c’est un internement symbolique, un enfermement dans une case psychiatrique où l’on enterre la légitimité populaire derrière une ordonnance imaginaire. Tout cela, sans violence apparente, avec des mots doux et une diction posée. La barbarie par les bonnes manières.

Ce n’est pas un hasard. Cette sortie pseudo-psychiatrique n’est pas née d’une indignation soudaine ni d’un souci sincère. Elle s’inscrit dans la suite d’un épisode mal digéré : la présentation de l’Agenda 2050, au cours de laquelle Ousmane Sonko, dans un style tranchant qui est sa marque, avait tenu ces mots devenus fameux :
« Il ne s’agit pas pour nous de cogérer. Nous avons fait une offre politique que le peuple a achetée. »
Il y avait là un rappel à l’ordre politique, une fermeture nette de la porte aux tentatives de récupération post-électorale de certains activistes surmédiatisés. C’était un acte de clarification : ceux qui n’ont pas combattu n’entreront pas dans la salle de commandement.
Cette phrase, manifestement, Elimane Kane ne l’a jamais digérée. Elle lui est restée en travers de la gorge comme un noyau d’humiliation. Lui, qui s’imagine souvent en penseur d’avant-garde, en conscience supérieure, n’a pas supporté d’être relégué au rang de figurant. Depuis lors, chaque prise de parole à l’égard de Sonko semble dictée par ce ressentiment contenu, cette volonté de revanche rhétorique. Il ne débat pas : il punit. Il ne critique pas : il pathologise. Et sous couvert de santé mentale, c’est bien une revanche politique qui s’exprime.

La phrase de Sonko, plus récente, résonne ici comme un diagnostic d’une tout autre pertinence :
« Une partie de cette société civile est composée de fumiers. Leurs financements devront être tracés. »
Cette phrase a scandalisé les éternels donneurs de leçons, mais elle touche une vérité crue : le champ dit « citoyen » s’est partiellement transformé en zone grise, un espace où des ONG se prennent pour des Etats, où des activistes jouent aux ministres parallèles, sans jamais être passés par les fourches caudines du suffrage. Ces structures vivent de financements extérieurs souvent opaques, d’alliances parfois douteuses, et d’une couverture médiatique disproportionnée. Elles se veulent la voix du peuple, sans jamais s’être soumises à sa volonté. Elles parlent au nom des autres, mais défendent surtout leur propre existence.

Kane, dans ce paysage, est le prototype du citoyen verticalisé, qui croit que son engagement auto-proclamé lui donne un droit naturel à cogérer le destin du pays. Il ne supporte pas que les urnes aient préféré un autre récit, une autre trajectoire, une autre posture. D’où cette rage froide, enveloppée de faux humanisme, qu’il déverse périodiquement sur ceux qui ont osé réussir sans lui.

Le vrai problème, ce n’est pas qu’Ousmane Sonko ait subi des traumatismes. Le vrai problème, c’est qu’Elimane Kane n’a pas supporté que le peuple ait choisi une rupture sans lui confier les clés. Il n’est pas en quête de justice psychologique, mais de reconnaissance différée. Alors non, Monsieur Kane, ce n’est pas le Premier ministre qui a besoin de thérapie. Ce sont vos frustrations inavouées, vos ambitions contournées, et votre influence déclinante qui mériteraient une prise en charge symbolique.
« La psychiatrisation de l’adversaire est l’arme des lâches qui n’ont plus de légitimité à opposer. »
Le reste, camarade, appartient à l’Histoire. Et elle, ne souffre pas d’hallucinations.


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