L’Opposition Sénégalaise : Clinique d’une Agonie Politique

Par Mamadou Sèye

Il fut un temps pas si lointain où le seul déplacement annoncé d’un opposant suffisait à tétaniser l’Etat, à mobiliser les forces de l’ordre, à plier l’agenda gouvernemental sous la menace d’un soulèvement populaire. Ce temps-là, c’était celui d’Ousmane Sonko. Une époque où l’opposition était une force tangible, bruyante, enracinée, présente dans les rues et dans les consciences. Aujourd’hui, tout cela semble appartenir à une autre ère, à un autre pays. L’opposition actuelle, ou ce qui prétend en tenir lieu, n’appelle à rien, ne rassemble personne, ne perturbe rien, ne soulève aucune poussière. Elle est présente dans les communiqués, absente dans les quartiers. Vivante dans les studios, morte dans les rues.

Ce silence assourdissant n’est pas une pause stratégique. C’est une forme d’agonie douce, une dépression collective mal assumée. Les figures censées incarner la résistance sont soit résignées, soit figées dans une posture de commentaire. Elles parlent au micro, pas au peuple. Elles s’indignent mollement, confèrent à huis clos, organisent des séminaires sur l’opposition… mais n’opposent rien. Le pouvoir les ignore avec une politesse amusée. Il ne les craint plus. Il les regarde comme on observe un chien fatigué qui jappe sans conviction.

Il y a là un problème profond, presque psychanalytique. Cette opposition ne croit plus à elle-même. Elle mime l’action, simule l’engagement, reproduit des réflexes qui ne trouvent plus d’écho. Elle se bat pour exister dans le verbe, faute d’exister dans les faits. Elle multiplie les sigles, les coalitions, les fronts, les fusions. On crée un large front pour se donner du poids, on en change le président pour donner l’illusion du mouvement… mais personne ne suit, ni militants, ni citoyens. C’est un théâtre vide où seuls les acteurs applaudissent.

Et puis, il y a la peur. Une peur sourde, réelle, enfouie. La peur des rapports d’audit. La peur des chiffres qui remontent. La peur de voir ressurgir, ligne par ligne, les errements de leur propre gestion. Car pour beaucoup de ces figures de l’opposition actuelle, les documents d’aujourd’hui sont les souvenirs compromettants d’hier. L’activisme militant a cédé la place à une prudence de prévenu. La perspective de la prison hante les consciences. Même ceux qui se rêvaient en martyrs de la démocratie, une fois confrontés à la réalité du contrôle judiciaire et des cellules, baissent d’un ton. Le silence devient instinct de survie. L’inaction, une stratégie de protection. On n’oppose plus rien, parce qu’on ne veut pas éveiller ce qui pourrait tomber.

L’APR, avec un sens aigu de l’ironie politique, appelle à un large regroupement de l’opposition, comme s’il ne savait pas que ce regroupement existe déjà. C’est dire à quel point le pouvoir ne prend même plus la peine de simuler le respect. Il jette un regard distrait vers un front théorique, sans nerf, sans voix, sans chair. Et l’opposition, au lieu de relever le défi, accueille cette moquerie avec le sérieux de ceux qui se pensent encore utiles. Elle publie des communiqués, annonce des restructurations, promet des plans de relance, mais elle n’a plus ni peuple ni pulsion. Elle est déconnectée du terrain, orpheline de masse, amputée de radicalité.

Ce n’est pas qu’elle manque d’idées. Elle manque d’énergie. Elle manque de foi. Elle manque de flamme. Elle est en mode survie, pas en mode conquête. Elle commente la marche du pays au lieu de l’influencer. Elle analyse, mais ne mobilise pas. Elle réagit, mais ne provoque rien. Elle s’observe en boucle dans le miroir médiatique, oubliant que la vraie politique se fait en dehors des studios. Dans les marchés, dans les banlieues, dans les rues poussiéreuses de la République.

Le plus inquiétant, c’est qu’elle semble s’accommoder de cette situation. Elle ne se révolte plus contre sa propre insignifiance. Elle négocie des alliances, parle de survie institutionnelle, et espère que le temps lui redonnera une place qu’elle n’a plus la force de conquérir. Elle mise sur les fautes du pouvoir, mais ne crée plus ses propres dynamiques. Elle a perdu le sens de l’initiative. Elle attend, comme un malade en rémission, que le vent tourne. Mais la météo politique ne se retourne jamais en faveur de ceux qui refusent d’affronter l’orage.

Ce qui devait être une résistance est devenu une gestion molle d’un capital symbolique en déclin. Les leaders se succèdent à la tête de coalitions sans base. On passe d’un président à un autre comme on déplace une chaise dans une salle vide. Cela n’intéresse que ceux qui y siègent. Le peuple, lui, regarde ailleurs. Il attend un souffle, pas un organigramme. Il attend une présence physique, pas un communiqué feutré. Il attend une voix qui réveille, pas une voix qui commente.

Il est temps de dire la vérité : l’opposition est entrée dans une forme de coma militant. Elle n’a pas été vaincue ; elle s’est retirée d’elle-même. Elle ne ploie pas sous la violence, mais sous le poids de son propre vide et la crainte du retour du réel. Et tant qu’elle n’aura pas retrouvé la verticalité du combat, la densité de l’enracinement, la passion de la confrontation, elle restera ce qu’elle est aujourd’hui : un décor sans action, une façade sans maison, une ombre sans corps.


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