Par Mamadou Sèye
La conclusion de la mission technique du FMI venue auditer les comptes du Sénégal a confirmé ce que les observateurs avertis savaient déjà : si la situation financière actuelle est complexe, c’est parce qu’un système d’opacité budgétaire a prospéré tranquillement sous Macky Sall, hors de tout radar public. Le Fonds feint aujourd’hui l’étonnement, mais tout gouvernement soumis à une surveillance trimestrielle, des tableaux de bord et des évaluations continues ne peut pas, par magie, cacher des engagements sans que l’institution n’en ait eu vent. Ce déni tardif ressemble à une indignation calculée. L’ancien responsable du département Europe du FMI, Peter Doyle, avait déjà dénoncé cette complaisance avec les gouvernants choyés et l’aveuglement sélectif du Fonds. Il n’y a donc pas de victimes innocentes ici : la responsabilité est partagée.
Dans ce paysage, le nouveau gouvernement est arrivé avec une lucidité qui dérange. Les techniciens du Fonds reconnaissent eux-mêmes l’effort de transparence budgétaire, d’assainissement comptable, d’audit des engagements et de correction du reporting. Tout ce que le FMI exigeait sans jamais l’obtenir franchement du régime précédent. Pourquoi alors les décaissements tardent-ils à s’aligner sur ces progrès ? La réponse est simple : le Sénégal refuse l’obéissance automatique. La Vision 2050 que Dakar veut inscrire au cœur du programme négocié implique de replacer la souveraineté économique au centre du dialogue. Cette démarche, dans le langage feutré des institutions, s’appelle insoumission macroéconomique.
Le projet de baisse du coût de l’énergie, annoncé par le chef du gouvernement, illustre parfaitement l’enjeu. Une énergie moins chère, c’est une industrialisation locale renforcée, une meilleure compétitivité, un affaiblissement du monopole financier international et une élévation des acteurs nationaux. Autrement dit, moins de dépendance extérieure. On comprend que cela ne fasse pas sourire certains partenaires qui ont fait du prix de l’énergie un instrument silencieux de contrôle industriel.
En vérité, le FMI aime mieux les économiquement obéissants. Depuis quarante ans, la doctrine reste la même : réduction des subventions, compression des dépenses sociales, durcissement fiscal, privatisation. A chaque fois, on promet croissance et investissement. Dans la réalité, on observe dépendance accrue, recul industriel, précarité urbaine. Le FMI est l’infirmier d’un système extractif : il nourrit le patient juste assez pour qu’il survive, jamais assez pour qu’il se relève. Dans ce contexte, un gouvernement souverain devient un objet de méfiance.
On devrait d’ailleurs s’interroger sur le timing : comment se fait-il que les audits, les engagements hors bilan et les ardoises dormantes n’aient pas été identifiés plus tôt ? Où étaient les admonestations lorsque les corridors d’influence construisaient des éléphants blancs ? Le scandale n’est pas l’audit d’aujourd’hui, c’est qu’il arrive après des années de silence. Le Fonds félicite quand les gouvernements sourient, il s’alarme lorsque les peuples revendiquent. Cette mécanique n’est pas technique : elle est politique.
Ce qui se joue actuellement dépasse la comptabilité publique. Le Sénégal n’est plus friand de tutelle. Il propose ses propres réformes structurelles, hors des recettes prêtes-à-l’emploi des années 1990. Il accepte la discipline économique, mais refuse la soumission doctrinale. Et cela modifie profondément le rapport de force. Car cette fois, le pays n’est plus seul à la table : Golfe, Asie, Afrique du Sud, BRICS élargis offrent des alternatives. L’époque où le FMI décidait des destins nationaux sans contrepoids est terminée.
Si les décaissements tardent, ce n’est pas parce que Dakar manque de sérieux, mais parce qu’il réclame que sa vision soit reconnue. C’est là que se noue le nœud : l’Etat refuse la posture d’élève. Il ne dit pas : « Quand voulez-vous que je saute ? » Il demande : « A quelle hauteur saute-t-on ensemble, selon nos priorités nationales ? » Et pour beaucoup, cela est déjà une audace.
Au fond, le bras de fer est transparent. Soit on accepte que l’Afrique écrive elle-même son logiciel économique, soit on perpétue la dépendance. Le Sénégal, aujourd’hui, a choisi la première option. Et cela, pour certains, est le vrai problème.