Par Mamadou Sèye
Il est de ces voix qui ont émergé dans la douleur des luttes, et qui finissent, à force de répétition, par courir le risque de s’effacer dans le brouhaha ambiant. Guy Marius Sagna ne manque ni de conviction ni de courage. Mais dans ce moment de bascule pour le Sénégal, il lui faudra peut-être autant de stratégie que de sincérité.
Je comprends Guy Marius Sagna. Et je le respecte profondément. On ne peut nier son ancrage historique dans les luttes sociales, ni son rôle dans la cristallisation des colères populaires. Il a porté des combats justes, souvent au prix de sa liberté. Il a incarné une voix. Une silhouette. Une tension morale dans l’espace public. C’est tout cela qui fonde sa légitimité.
Mais je m’autorise, aujourd’hui, à lui adresser un regard, lucide, sans animosité. Non pour le corriger, mais parce que quelque chose, dans la fréquence de ses interpellations, commence à inquiéter. Pas chez ses adversaires, qui se frottent déjà les mains. Mais chez ses compagnons mêmes, ceux qui l’ont soutenu, défendu, accompagné. Ceux qui s’étaient cotisés pour lui offrir un véhicule, à un moment où il représentait une promesse d’engagement désintéressé.
Poser des questions, c’est utile. Trop en poser, c’est risquer l’effet de saturation. Dans le régime parlementaire, l’instrument de la question orale ou écrite est précieux. Mais s’il devient un réflexe systématique, il se vide de sa puissance politique. Il devient bruit. Il devient routine. Il devient vulnérable à l’instrumentalisation.
Car c’est bien là le nœud du problème : ce ne sont pas les critiques internes qui inquiètent, mais leur résonance externe. Dans un moment où le pays cherche une boussole, où la nouvelle gouvernance tente de bâtir sous les décombres de l’ancien régime, toute dissonance prend des proportions politiques. Les adversaires qui ne peuvent plus contester frontalement le pouvoir s’engouffrent dans les brèches internes, et se saisissent de la moindre inflexion pour peindre un tableau de division.
Je ne demande pas à Guy de se taire. Ce serait trahir ce qu’il est. Je lui demande de penser le moment, d’ajuster son souffle, de choisir ses escarmouches. Ce qu’on attend de lui n’est pas qu’il devienne un homme de compromission. Mais un homme de densité. Un stratège. Un bâtisseur. Un repère.
La radicalité ne doit pas devenir un réflexe. Elle doit rester une force, un outil, un langage fort. Mais elle ne peut plus être un automatisme. Pas quand on est dans la maison. Pas quand on porte la responsabilité de réussir là où tant ont échoué.
Cet avertissement n’est pas un désaveu. C’est une main tendue. Parce que ceux qui aiment vraiment savent dire quand il faut ralentir. Savoir se taire parfois, c’est aussi respecter sa propre voix.
Guy Marius Sagna a encore tant à donner. À condition de rester audible. Et pour cela, parfois, il faut parler moins – pour frapper plus fort.