PAR MAMADOU SÈYE
Entre Ndongo, vieux monogame rationnel, et Demba, polygame passionné, c’est le choc des visions. Sous un manguier transformé en parlement improvisé, les arguments fusent, les proverbes pleuvent, et la mauvaise foi devient art de vivre. Une discussion qui en dit long sur le Sénégal d’aujourd’hui, où l’amour est une affaire… de stratégie.
Ils étaient assis sous un manguier, à l’ombre d’un après-midi paresseux. Deux amis de longue date. L’un, Ndongo, monogame convaincu. L’autre, Demba, fier polygame aux yeux qui pétillent dès qu’on parle de « rotation conjugale ». Comme chaque dimanche, ils avaient refait le monde, insulté les politiciens, vanté les bienfaits du gingembre, et inévitablement, la conversation avait glissé vers les femmes.
— Moi, je dis, une seule femme suffit, lança Ndongo en croquant une noix de cola. L’amour, le vrai, ne se multiplie pas. Il se concentre.
Demba faillit s’étouffer avec son thé.
— Tu parles comme un poète affamé ! Une seule femme ? Mais tu ne te rends pas compte ! Le monde est riche de différences. Pourquoi Dieu aurait créé autant de femmes si c’était pour n’en épouser qu’une seule ? Toi, tu es en train de limiter la grâce divine !
Ndongo le regarda, amusé.
— Donc toi, tu veux aider Dieu à écouler son stock de femmes ? C’est ça ton raisonnement spirituel ?
Demba tapa dans ses mains, hilare.
— Pas aider Dieu ! Mais aider la société ! Regarde, il y a plus de femmes que d’hommes. Si chacun prend une seule, il en restera sur le carreau. Tu veux qu’elles deviennent quoi ? Des philosophes amères sur TikTok ?
Ndongo fronça les sourcils.
— Ce n’est pas une question de stock. C’est une question d’équilibre. Une seule femme, c’est moins de mensonges, moins de dépenses, moins d’accidents diplomatiques. Toi, tu dois planifier tes nuits comme un ministre de l’Intérieur ! La vie, ce n’est pas un conseil des ministres amoureux.
Demba se pencha, confiant.
— Mon frère, une seule femme, c’est le risque de mourir d’ennui. L’âme a besoin de variation. Même le Prophète, paix sur lui, n’était pas monogame. Tu veux faire mieux que lui ?
— Attention, rétorqua Ndongo. Ne mélange pas ta libido et la sunna ! Tu confonds inspiration divine et appétit personnel. Toi, ton problème, ce n’est pas la religion. C’est ton goût pour les complications.
— Complications ? C’est toi qui es compliqué ! Moi, mes épouses se connaissent, elles s’appellent, elles s’entraident. La monogamie, c’est la dictature d’une seule humeur. Si elle est fâchée, c’est toute ta vie qui est en grève !
— Et toi, quand elles sont toutes fâchées ? Tu fais comment ? Tu déménages ? Moi au moins, je vis dans une démocratie conjugale simple : une femme, un cœur, une paix.
— Une paix, oui, mais fragile ! Il suffit qu’elle boude, et tu dors avec ton téléphone. Moi, j’ai la résilience. Si Aïssatou fait la tête, Fatou m’offre le thé. Et si Fatou fait la tête, Marième me fait rire. J’ai un gouvernement d’union.
— Un gouvernement d’union ? Tu veux dire une coalition instable. Moi, j’ai la stabilité budgétaire et émotionnelle. Toi, tu es dans une crise permanente, comme l’Assemblée Nationale. Tu as besoin d’un médiateur conjugal tous les trois jours.
— Toi, tu es un vieux retraité affectif. Tu t’es arrêté à la première gare, moi je fais le grand tour. On n’a pas la même vision du voyage.
— Peut-être. Mais au moins, moi j’arrive à l’heure. Toi, tu es toujours en retard à l’amour vrai. Tu es tellement occupé à répartir ton affection que tu oublies d’aimer en profondeur.
— Profondeur ? Ce n’est pas une fosse commune, hein ! Moi j’ai de la largeur affective. De l’ouverture. Toi tu es fermé comme une mosquée à minuit.
Le thé était terminé, les arguments aussi. Ils se regardèrent, en silence. Deux conceptions du monde, deux logiques intimes, deux écoles du cœur. Au fond, chacun savait que l’autre ne changerait jamais. Mais c’était dimanche, le soleil tapait fort, et la vie était trop courte pour bouder à cause d’un débat sur les femmes. Ils se levèrent, tapèrent dans la main, et allèrent chercher un autre ami… divorcé deux fois.