Par Mamadou Sèye
Alors que des voix légitimes réclament la suppression du délit d’offense au Chef de l’Etat, certains s’engouffrent dans ce débat avec les habits déchirés d’une opposition en ruine, confondant liberté et licence, critiques et crachats. A défaut d’idées, ils injurient. A défaut de projet, ils méprisent. Et pendant ce temps, la démocratie attend ses vrais enfants.
La proposition de supprimer les articles 80 et 254 du Code pénal sénégalais n’est pas nouvelle. Elle est défendable, même souhaitable, dans une République assumée, solide et apaisée. Dans une société politique où l’institution présidentielle n’est ni sacralisée ni livrée en pâture, où l’espace public est organisé, où la liberté d’expression s’exerce avec responsabilité. Dans un pays qui a franchi un palier de maturité démocratique. Mais ce n’est pas ce pays que nous voyons aujourd’hui.
Ce que nous observons, c’est un champ de ruines morales, une cacophonie permanente, une opposition qui n’a ni cap ni colonne, mais qui rêve de transformer les réseaux sociaux en tribunal politique et l’insulte en programme de gouvernement. Dans cet environnement vicié, supprimer les articles 80 et 254 revient à tendre la République en offrande à une meute surexcitée. Ce serait comme retirer le couvercle d’une marmite en ébullition, sans rien pour contenir la vapeur. Un geste noble dans l’absolu, mais suicidaire dans le réel.
Nous sommes donc pour la suppression, mais à certaines conditions. D’abord, un cadre législatif modernisé, qui protège l’honneur des personnes publiques sans brider la liberté de critiquer. Ensuite, une régulation forte et indépendante de l’espace numérique, afin que le cyberespace sénégalais cesse d’être un cloaque de diffamation et de harcèlement. Puis, une éducation citoyenne de masse sur les droits et les responsabilités liés à la liberté d’expression. Et enfin, une opposition qui comprend que contester ne signifie pas hystériser, que s’opposer ne signifie pas salir.
Or, que voyons-nous aujourd’hui ? Des politiciens qui qualifient nos dirigeants de “gosses” parce qu’ils ne supportent pas d’avoir été battus à la loyale. Des commentateurs de salon qui confondent impertinence et vulgarité. Une frange de l’opinion qui croit qu’être libre, c’est pouvoir dire n’importe quoi, n’importe comment, contre n’importe qui. C’est dans cet espace délirant que certains réclament, au nom de la démocratie, la suppression immédiate d’un dispositif juridique qui, pour l’heure, joue au moins un rôle de dissuasion contre la sauvagerie verbale.
Car ne nous trompons pas : ce n’est pas la liberté qu’ils défendent, mais leur propre désir de vengeance. Ce n’est pas la République qu’ils protègent, mais leur orgueil blessé. Ce n’est pas un projet de société qu’ils portent, mais une haine impuissante déguisée en radicalisme citoyen.
Supprimer les articles 80 et 254, oui. Mais pas pour ouvrir un boulevard aux irresponsables. Pas pour que l’espace politique devienne un champ de tir. Pas pour que la fonction présidentielle soit quotidiennement traînée dans la boue par ceux qui n’ont jamais accepté les règles du jeu républicain. On ne bâtit pas la démocratie contre les institutions, mais avec elles. Et pour l’instant, notre démocratie est encore convalescente, vulnérable, fragile. Elle a besoin de respiration, pas de suffocation.
Les jeunes autorités installées depuis peu ont le mérite de garder le cap dans un contexte d’attaques permanentes et de procès d’intention. Il serait insensé d’ajouter à ces défis celui d’une désacralisation anticipée de la fonction qu’ils incarnent. La liberté d’expression est un pilier. Mais chaque pilier a besoin de fondations solides. Il ne suffit pas de l’invoquer. Il faut la préparer, la protéger, l’outiller.
Et surtout, il faut que ceux qui réclament cette liberté montrent d’abord qu’ils en sont dignes.