Ismaïla Madior Fall sous bracelet électronique : la chute d’un dogme

Par Mamadou Sèye

Il y a des instants où la République se regarde dans un miroir brisé. Ce mardi 20 mai 2025, l’image d’Ismaïla Madior Fall, ancien ministre de la Justice, ancien Garde des Sceaux, constitutionnaliste et chantre de l’éthique étatique, affublé d’un bracelet électronique, claque dans l’actualité comme un orage dans un ciel qu’on croyait pacifié. L’homme qui veillait à la moralisation de la vie publique devient subitement le protagoniste d’une affaire de corruption présumée. L’ironie est trop forte pour n’être qu’une anecdote. Elle dit quelque chose de plus profond, de plus systémique.

Car ce n’est pas un homme qui est tombé, c’est un symbole. Ismaïla Madior Fall n’était pas un ministre ordinaire. Il était la conscience juridique du régime de Macky Sall, celui qui justifiait les coups de barre autoritaires par le droit, qui théorisait la limitation des mandats quand cela servait, et son dépassement quand cela arrangeait. Il avait mis la toge du juriste au service d’un régime qui ne craignait pas les contorsions interprétatives dès lors qu’il s’agissait de maintenir l’ordre établi. Il a théorisé l’infaillibilité du pouvoir, usant des subtilités du droit pour enrober ce qui relevait parfois d’un autoritarisme sec.

Aujourd’hui, c’est ce même homme qui doit s’expliquer devant la Haute Cour de justice, dans une affaire à la fois banale et scandaleuse : une histoire de marché public, d’argent en liquide, d’arrangements dissimulés, et d’un promoteur qui, à défaut d’obtenir ce qu’il voulait, a décidé de parler. L’ancien ministre nie les faits, évoque un « don » aussitôt refusé, un « piège », une « instrumentalisation ». Peut-être. Mais le fait brut demeure : le Garde des Sceaux est désormais sous contrôle électronique. La République ne l’a pas encore condamné, mais elle l’a neutralisé.

On ne se réjouit pas d’une telle situation. Il y a, dans cette image d’un intellectuel aux prises avec la machine judiciaire, quelque chose de profondément humain, presque tragique. Mais il y a aussi un rappel salutaire : aucun pouvoir n’est éternel, aucune immunité n’est intangible, et surtout, aucun discours, fût-il juridico-moral, ne protège éternellement de la redevabilité. Ismaïla Madior Fall est victime, peut-être, d’un retournement politique. Mais il est surtout le fruit d’une époque qu’il a servie avec zèle, d’un système qu’il a aidé à bâtir, d’une mécanique qu’il croyait pouvoir dominer par l’intellect, et qui finit par lui passer les menottes – électroniques.

Ce moment dit quelque chose du Sénégal d’aujourd’hui. L’heure n’est plus aux postures mais aux bilans. La reddition des comptes devient une scène publique, théâtrale, où les anciens maîtres sont invités à s’expliquer. Que cette justice soit sincèrement indépendante ou simplement perçue comme telle, elle ouvre au moins une brèche dans l’impunité. Et c’est en soi une victoire morale, un signal attendu par des générations de citoyens longtemps tenus à l’écart des arbitrages réels.

En attendant, le professeur est désormais l’élève d’un système qu’il a codifié. Il ne plaide plus, il se défend. Et le pays, lui, regarde, incrédule, cette bascule où le savoir ne protège plus, où la stature ne dispense plus du soupçon, où le pouvoir d’hier se découvre vulnérable sous les habits du justiciable.

Il faudra, un jour, faire l’histoire de cette époque. Et dire comment ceux qui fabriquaient les lois en sont venus à les subir. Et pourquoi, dans ce pays, le pouvoir finit toujours par tourner ses plus fidèles serviteurs en statues de sel.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *