La diplomatie ne se pratique ni avec des oeillères, ni avec des rancunes

Par Mamadou Sèye


En renouant le dialogue avec les pays de l’AES, le Sénégal ne trahit ni ses principes ni son histoire. Il incarne une diplomatie lucide, enracinée, et souveraine, là où certains prônent l’isolement ou l’arrogance. Un rappel salutaire à ceux qui confondent diplomatie et polémique.

La diplomatie est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux va-t-en-guerre verbaux. Elle ne s’écrit pas à coups de tweets incendiaires ni de tirades vengeresses. Elle se tisse dans la patience, dans le silence parfois, et dans une constante lucidité sur la nature du monde. La récente visite du Premier ministre sénégalais à Ouagadougou relève précisément de cette école. Celle qui ne se contente pas de commenter le réel, mais qui s’efforce de le façonner, sans arrogance ni abdication.

Que des voix s’élèvent pour condamner cette visite en invoquant la morale ou le respect des principes démocratiques n’étonne guère. Il est plus facile de juger que de comprendre. Plus aisé de jeter l’anathème que de construire des passerelles. Mais il faut le dire clairement : le Sénégal, en renouant officiellement avec les pays de l’AES, ne trahit aucun de ses principes. Il reste fidèle à sa tradition de dialogue, d’équilibre et de responsabilité. Ce que certains présentent comme un reniement est, en réalité, une affirmation de souveraineté diplomatique.

Les régimes en place à Bamako, Ouagadougou et Niamey sont issus de contextes militaires, c’est vrai. Mais ils ne sont ni le fruit du caprice, ni l’effet d’une dérive solitaire. Ils sont nés de crises profondes, d’échecs politiques répétés, et d’un rejet massif des formes classiques de gouvernance. On peut ne pas s’en réjouir. On doit même les interroger. Mais il est politiquement naïf et stratégiquement dangereux de les ignorer ou de les mépriser. Car dans les relations internationales, la morale sans lucidité n’est qu’une posture vide. Et la lucidité sans morale devient cynisme. Il faut les deux.

Le Sénégal, fort de sa stabilité et de sa crédibilité, peut — et doit — jouer un rôle de pont dans cette région fracturée. Il ne peut être un îlot prétentieux au milieu d’un océan en tumulte. Le choix de dialoguer avec l’AES, c’est aussi un choix de paix, de bon voisinage et de responsabilité historique. Nos peuples ne sont pas séparés par des murs idéologiques. Ils sont unis par la géographie, l’histoire, les mobilités humaines et les douleurs partagées.

Il y a aussi une vérité qu’on tait trop souvent : des milliers de Sénégalais vivent, commercent, étudient et prient dans ces pays. La parole publique sénégalaise les engage. Une sortie inconsidérée, un mot de trop, un mépris assumé, et ce sont ces innocents qui en paient le prix. La diplomatie n’est pas seulement affaire de drapeaux et de traités. Elle est aussi une protection concrète pour nos ressortissants, une garantie de paix dans la vie quotidienne.

Ceux qui, aujourd’hui, fustigent ce réchauffement diplomatique, devraient se souvenir qu’aucune diplomatie ne se fait avec des œillères idéologiques. Elle se fait avec des cartes, des chiffres, des alliances et des réalités mouvantes. Le monde change. L’Afrique change. Les certitudes d’hier ne sont plus que des nostalgies aujourd’hui. Les puissances occidentales elles-mêmes, si promptes à prêcher la démocratie, finissent toujours par composer avec les faits, y compris les plus dérangeants. Alors, pourquoi le Sénégal devrait-il se faire le porte-voix d’une morale sélective, quand son intérêt commande l’apaisement, la coopération et la réintégration régionale ?

On nous parle de principes. Mais quels principes justifieraient l’isolement diplomatique de trois pays sahéliens avec lesquels nous partageons tout, jusqu’aux défis sécuritaires ? Quel principe permettrait d’abandonner les millions de citoyens qui aspirent, comme nous, à la dignité et au développement ? La vraie morale, ici, c’est de leur tendre la main, non de leur tourner le dos.

Quant à ceux qui, derrière des titres ou des fonctions passées, cherchent à relancer une diplomatie de confrontation, il faut leur rappeler que l’époque a changé. Le peuple sénégalais a tourné la page d’une gouvernance hautaine, qui confondait discours et action, postures et résultats. La diplomatie nouvelle est celle d’un Etat ancré dans ses intérêts, attentif à ses voisins, et soucieux de la souveraineté partagée du continent.

Le Sénégal n’a de leçons à recevoir de personne. Il a, en revanche, des actes à poser, des ponts à construire, des erreurs à ne pas répéter. Le Premier ministre, en posant le pied à Ouagadougou, n’a pas salué un uniforme. Il a reconnu une situation. Et dans le langage diplomatique, c’est déjà un début de solution.

Ceux qui ne comprennent pas cela peuvent continuer à pérorer sur les plateaux. Mais qu’ils sachent une chose : la diplomatie ne se joue pas sur scène. Elle se joue en coulisses, dans la discrétion des gestes, dans la force des regards, et dans le poids des silences.

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