Par Mamadou Sèye
Depuis quelques jours, une agitation fébrile secoue l’espace public sénégalais, nourrie par un débat devenu aussi cyclique qu’obsessionnel : l’homosexualité. A peine les nouvelles autorités ont-elles pris fonction que certaines voix se dressent pour leur reprocher un prétendu laxisme. Le collectif And Samm Jikko Yi, autrefois hyperactif, se voit sommé de se remobiliser. L’Etat, lui, est invité à réagir comme s’il était en défaut sur une promesse sacrée. Des figures médiatisées, comme Mame Mactar Guèye de Jamra, en viennent même à s’offusquer de la venue au Sénégal de Jean-Luc Mélenchon, pourtant invité dans un cadre politique et académique. On veut ainsi faire croire qu’accueillir un homme politique français serait une atteinte à nos valeurs. A ce rythme, il ne restera bientôt plus que l’obsession et l’intolérance comme boussoles nationales.
Il est temps de poser les mots justes : le Sénégal ne peut pas se laisser gouverner sous l’injonction morale permanente. Un Etat responsable, encore moins dans une phase de refondation, ne se dirige pas à coups d’indignations programmées. Il ne répond pas aux diktats émotionnels, aux procès d’intention, ni aux injonctions de groupes de pression prompts à faire de chaque semaine une croisade morale.
L’homosexualité, faut-il encore le rappeler, n’est ni promue ni encouragée par les nouvelles autorités. La société sénégalaise y reste largement opposée, à la fois pour des raisons culturelles, religieuses et morales. Ce rejet est connu, stable et assumé. Il n’a pas besoin d’être réaffirmé chaque semaine à la télévision ou dans la rue. Faire de la surenchère une politique publique ne relève pas de la gouvernance, mais de l’agitation.
Le peuple sénégalais a élu un Président et une équipe pour restaurer la justice, réguler les marchés publics, rendre l’école aux enfants, juguler le chômage des jeunes, alléger le fardeau de la dette, et ramener l’Etat à son devoir d’équité. Voilà les urgences. Voilà les vraies batailles. Or, il se trouve des activistes pour qui rien ne compte plus que la criminalisation plus poussée encore de l’homosexualité, comme si ce texte manquant bloquait l’avenir du pays. Quelle erreur d’analyse. Quel détournement d’attention. Quelle hypocrisie.
Car il faut avoir le courage de le dire : nous vivons dans une hypocrisie sociale presque totale sur ce sujet. Ceux qui crient le plus fort contre « la perversion des mœurs » se taisent devant la corruption quotidienne, les détournements de deniers publics, la souffrance sociale. Ils choisissent leur combat parce qu’il est facile, consensuel, spectaculaire. Il est plus simple de dénoncer un ennemi abstrait que d’interpeller un maire détourneur ou un député absent. C’est là que réside la vraie crise : dans cette facilité à s’indigner contre les corps, pendant qu’on détourne les regards du réel.
Gouverner, ce n’est pas flatter l’émotion. C’est dominer le temps. Travailler en silence parfois. Légiférer avec discernement. Et surtout, hiérarchiser. Les autorités actuelles ont reçu mandat de redresser un pays fragilisé, pas de mener des croisades moralisatrices tous les quinze jours. Ce mandat ne peut être confisqué par une minorité bruyante qui entend faire plier l’agenda national à son unique obsession.
Quant à l’indignation autour de Jean-Luc Mélenchon, elle illustre la tentation croissante du repli et du soupçon. L’homme n’est pas un militant LGBT, encore moins un provocateur venu semer la discorde. Il est une figure politique française, connue pour ses positions souverainistes, sociales, anticolonialistes. L’accueillir n’est pas une compromission. C’est un acte normal dans les relations entre Nations et entre intellectuels. Faut-il désormais exiger des visiteurs qu’ils se confessent sur leurs convictions privées avant de fouler notre sol ? Veut-on vraiment d’un Sénégal devenu un bunker idéologique, où l’ouverture serait jugée comme une faiblesse ?
Il faut que cela cesse. Nous ne défendons pas l’homosexualité. Mais nous défendons la clarté, la cohérence, la hiérarchie des priorités. Et surtout la paix sociale. Car à trop agiter les foules sur des sujets aussi sensibles, on entretient un climat de tension inutile, où tout est soupçonné, où toute nuance devient suspecte. L’Etat doit rester au-dessus de ce vacarme.
L’histoire jugera ce régime. Mais elle ne le jugera pas sur la vitesse à légiférer contre des comportements marginaux. Elle le jugera sur sa capacité à réformer, à stabiliser, à soulager les plus fragiles. Voilà le seul test de vérité. Que ceux qui veulent servir le pays s’y attellent. Et que ceux qui veulent jouer sur les peurs cessent d’entraver la marche d’un Sénégal qui veut, enfin, aller de l’avant.