Sports business : Le MMA, ce nouveau rival de la lutte sénégalaise

  Plus médiatisé, plus lucratif et plus renommé, le MMA attire de plus en plus d’adeptes de la lutte sénégalaise avec frappe qui rêvent tous d’une carrière à la Reug Reug et surtout de ses gains en dollars.

  Une victoire éclatante le vendredi 8 novembre dernier face au Russe Anatoly Malykhin à Bangkok en Thaïlande avait propulsé Reug Reug dans une nouvelle dimension. Il avait même reçu les félicitations du président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye. Le lutteur sénégalais qui aspire à intégrer la cour des grands du MMA et affronter les ténors de cette discipline, est devenu le premier champion du monde sénégalais dans cette discipline, mais dans la One Championship, une ligue de sports de combats basée à Singapour. Il peut maintenant valablement toucher les gros cachets qui font la renommée du MMA. Même s’il faisait partie des outsiders de la catégorie de sa fédération, Oumar Kane de son vrai nom ne touchait pas les gros lots. Pour son avant-dernier combat, il est reparti avec une prime de 50 000 dollars américains soit 29,7 millions de francs FCFA. Des miettes comparées aux 180 millions de dollars qu’a touchés Conor Mc Gregor la star du MMA en 2019. Cependant cette somme empochée par Reug Reug pour un combat, dépasse de loin ce qu’il peut percevoir en lutte avec frappe sénégalaise où il peine quelque peu à intégrer la cour des grands, le seul niveau où un lutteur peut toucher plus de 60 millions de francs CFA par combat.

  Cette différence de gains et la possibilité d’avoir plusieurs combats dans une saison sont les aspects attrayants du MMA. Les lutteurs sénégalais, Bombardier, Reug Reug, Siteu, ont tenté l’aventure avec plus ou moins de réussite. Cependant, ils sont tous unanimes à déclarer que les gains dans le MMA sont importants et attirants. « A dire vrai le MMA paye plus que la lutte avec frappe. Le cachet le plus important dans la lutte est aux alentours de 200 millions de FCFA alors que dans le MMA on parle de milliards », avait affirmait Reug Reug juste après sa victoire face au Brésilien Marcus « Buchecha » Almeida. 

  Des propos qui ne font qu’accentuer cette attirance du MMA pour les lutteurs. Avec moins de 5000 licenciés pour 350 000 adeptes selon les amateurs, la lutte sénégalaise ne nourrit pas son monde. Dès lors, un sport parallèle ne réclamant pas plus d’entrainement que la lutte avec frappe, sauf pour les subtilités des règlements, peut être une solution alternative. Trois combats dans une année, des voyages en Europe ou en Asie où les combats se déroulent généralement et presque aucune dépense en pratiques mystiques peuvent pousser les lutteurs les plus téméraires des arènes sénégalaises vers l’octogone du MMA.

  Ainsi, après les précurseurs du MMA sénégalais que sont Bombardier, Reug Reug et Siteu d’autres lutteurs se sont invités sur le ring. Le fantasque Boucher Ketchup a perçu 27 millions pour moins de 3 minutes dans l’octogone face à Reug Reug. Il a crié sur tous les toits de Dakar qu’avec ce seul combat, il a engrangé plus d’argent qu’avec tous ses combats réunis dans l’arène sénégalaise. Encore un bon agent marketing pour le MMA…

  Depuis, il est revenu dans l’octogone, et s’est bien rattrapé face à Zoss (un autre transfuge de la lutte sénégalaise ?) qu’il a contraint à l’abandon, samedi à Abidjan. Autre retour victorieux lors de la même soirée, celui de Ada Fass contre le Burkinabé Mano Israel mis KO technique après moins d’une minute 20, six mois après sa toute première victorieuse dans l’octogone face à Dominique Dago. Et cela alors que l’attend … dans l’arène sénégalaise un combat face à Liss Ndiago, le 19 juillet prochain.

  Autre lutteur sénégalais attendu pour se produire lors de cette soirée dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire, Zarco. Mais le sociétaire de l’écurie Grand-Yoff ne s’est finalement pas présenté sur le ring face au Nigérian Kabiru Adediran, préférant certainement (peut-être à l’inverse de Zarco) se concentrer sur son prochain combat en lutte sénégalaise, le 22 juin contre Sa Thiès.

  Les semaines, mois et années à venir, la ruée vers le MMA devrait s’accentuer. Ay détriment de la lutte sénégalaise ? Le risque est réel, même si certains lutteurs se feront un plaisir de tenter la grand écart…

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C’est quoi le MMA ?

  MMA est un acronyme anglais qui signifie Mixed Martial Arts ou Arts martiaux mixtes, en français. C’est une combinaison de la lutte, du judo, du kick-boxing, de la boxe entre autres disciplines de combat. C’est dire s’il demande percussions, capacité à encaisser des coups (et à en rendre) et technique. Les combats qui opposent des adversaires de même catégorie de poids se déroulent dans une cage en forme d’octogone (figure à huit côtés) qui lui donne son surnom.

 Grâce à sa victoire de novembre dernier à Bangkok en Thaïlande face au Russe Anatoly Malykhin, « Reug Reug » est maintenant champion dans la catégorie des poids lourds de  la One Championship, une ligue de sports de combats basée à Singapour. Considérée comme l’évènement sportif le plus influent d’Asie, la One Championship est suivie dans plus d’un milliard de foyers répartis dans plus de 120 pays à travers le monde

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Dr Abdourahmane Dia « Ardo », médecin du sport

« Ce sont deux disciplines qui se complètent plutôt »

  Le MMA, futur concurrent de la lutte sénégalais ? Le Dr Abdourahmane Dia plus connu sous son petit nom de « Ardo », pense plutôt que « ce sont deux disciplines qui se complètent ». Le célèbre médecin du sport dont le surnom est entré dans le jargon de la lutte (« dem Ardo » terme popularisé par l’ancien reporter de la RTS Oumar Dia, signifie « aller se faire ausculter par le Dr Ardo pour avoir été malmené lors d’un combat ») estime même que le MMA gagnerait à être développé au Sénégal et plus généralement en Afrique.

  « L’Africain a de réelles aptitudes pour le MMA, la preuve par ces champions du monde camerounais, nigérian et maintenant sénégalais et dans beaucoup de catégories », argumente-t-il. D’après lui, le sacre en novembre de Reug Reug devrait même être une occasion pour lancer au Sénégal une structure, genre CNG ou CNP, chargée de développer les Arts martiaux mixtes. Parce qu’il est presque sûr qu’il y aura un rush des lutteurs vers le MMA. D’ailleurs, rappelle le Dr Ardo, il y a quelques années, il était question de lancer une telle structure qui devait être accolée à la FSJDA (fédération sénégalaise de judo et disciplines associées). Et un gala de MMA avait même été organisé à Dakar.

  La mise sur pied d’un tel organe permettrait, d’après le Dr Ardo, de minorer les risques encourus par les lutteurs qui investissent le monde du MMA. « Le gros danger, selon lui, c’est de débuter dans le MMA à un âge assez avancé alors qu’on a pris certaines habitudes inhérentes à la lutte sénégalaise ». Pour l’ex collaborateur du Dr Alioune Sarr, ancien président du CNG de lutte, « il faut savoir s’adapter très vite aux règles du MMA où il n’y a pas de balancements des bras comme à la lutte et où le combat est à temps plein. A la moindre inattention, on risque de se faire descendre ».

  C’est pourquoi, le Dr Abdourahmane Dia « Ardo » est d’avis qu’il faut que ceux qui aspirent à briller en MMA s’y mettent très tôt. Et si, en plus, une structure est créée pour gérer la discipline, les Arts martiaux mixtes sont appelés à avoir un avenir radieux au Sénégal et plus généralement en Afrique.

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Le mirage des gains faciles

  Le quotidien spécialisé en lutte Sunu Lamb informait qu’en Europe ou aux États-Unis, d’anciens pratiquants du MMA mettent souvent en garde les jeunes adeptes de la discipline sur le mirage de la richesse rapide : « Un combattant qui débute à l’UFC gagne 10.000 euros (environ 6.500.000 de FCFA) pour un tournoi, mais avec les taxes et le salaire de son coach, il ne lui reste pas grand-chose. La plupart ont un travail à côté, même aux États Unis ».  Selon ce journal aujourd’hui « suspendu », ces alerteurs sont persuadés que la probable légalisation du MMA ne permettra pas à tous les combattants d’en vivre.

  La formule magique du MMA, ce sont les primes, surtout à l’UFC qui est l’un des championnats les plus puissants. Les combattants les plus performants reçoivent des primes supplémentaires voire des primes cachées et même une part des PPV (pay-per-view ou paiement à la séance) des combats auxquels ils participent. Le sponsoring n’est pas en reste et depuis 2015 et un partenariat avec Reebok, les gains des combattants sont encore plus importants.

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Bombardier, le précurseur

  Alors que l’âge de sa retraite dans l’arène (45 ans) approchait, Serigne Dia alias Bombardier s’est trouvé en 2018 un nouveau terrain fertile et lucratif où exercer sa passion. Il avait choisi le MMA (Mixed Martial Arts), un sport qui l’avait « séduit » et qu’il avait beaucoup suivi. «  J’ai donc décidé de m’initier dans le but de continuer à combattre même après mes 45 ans », avait alors expliqué le premier lutteur à avoir été double « Roi des arènes » d’abord après son succès sur Mohamed Ndao Tyson en 2002 et ensuite après avoir détrôné Balla Gaye 2 en 2018.

  Depuis le colosse de Mbour (1,96 m pour 160 kg de muscles) a disputé 5 combats dans la Cage pour 4 victoires (toutes par KO, dont la première au bout de 70 secondes face à Rocky Balboa et une défaite. Doté d’une formidable force de frappe – qui lui a d’ailleurs valu son surnom de « Bombardier » – le lutteur de Mbour sur la Petite Côte a en plus une très grande capacité à encaisser les coups. On peut aussi dire qu’il a le nez creux, pour avoir très tôt découvert la niche de profits que représente le MMA. Puisque, avait-il justifié lors d’un entretien avec un grand média européen, « en lutte sénégalaise, tu peux rester un an sans combattre. En MMA, c’est possible d’avoir un combat tous les trois mois. Financièrement, c’est également plus intéressant ».

  Normal dès lors que Bombardier ait fait des émules dans l’arène dont le moins célèbre n’est pas Reug Reug qui a décroché en novembre dernier la ceinture mondiale des poids lourds de la One Championship. De quoi donner des idées de tenter l’aventure à davantage de lutteurs sénégalais.

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Des promoteurs de lutte aussi tentés de franchir le pas

  Finalement, il n’y a pas que les lutteurs pour se ruer vers le MMA pour s’en mettre plein les poches, comme ils l’espèrent. Puisque, dans l’euphorie de la victoire chez les lourds en One Championship de Reug Reug sur le Russe Anatoly Malykhin à Bangkok, un premier promoteur, Aziz Ndiaye de Albourah Events avait annoncé son intention de franchir le pas. De passer des arènes sénégalaises à l’octogone du MMA. Voire de cumuler les deux. Il s’était en effet déjà mis en tête d’opposer son compatriote au Camerounais Francis Nganou, ex champion à l’UFC (United Fighting Championship, organisation américaine d’arts martiaux mixtes, reconnue comme la plus grande ligue mondiale de la discipline) et actuel champion en PFL (Professional Fighters League, autre organisation américaine d’arts martiaux mixtes).

  Après avoir perdu ses deux derniers combats en boxe anglaise devant les Britanniques Tyson Fury en octobre 2023 et Anthony Joshua en mars 2024, le Camerounais est retourné au MMA, trois ans après son dernier combat dans la discipline, pour signer une victoire expéditive par KO dès le premier round face au Brésilien Renan Ferreira, dans la nuit du 19 au 20 octobre 2024, à Ryad en Arabie saoudite.

  Un choc de « champions du monde » des poids lourds Reug Reug en One Championship et Nganou en PFL, comme pour « unifier » le titre. C’est ce que compte organiser Aziz Ndiaye « pour promouvoir la destination Sénégal », avait-il justifié au micro de Lutte TV. Mais pas que, certainement. En affirmant être disposé à mettre 3 millions de dollars (environ 2 milliards de francs CFA) sur la table, Aziz Ndiaye espère bien pouvoir récolter beaucoup plus.

  Il avait soutenu n’attendre que le feu vert des autorités pour organiser, au stade Abdoulaye Wade de Diamniadio, ce choc géant. Reug Reug qui avait publiquement défié Nganou aurait déjà donné son accord au « match-maker » qui avait promis de contacter le camp camerounais. Rien ne semble avoir bougé depuis lors.

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