La Réplique des 450 milliards

Par Mamadou Sèye

A peine quelques jours après la notation défavorable de Moody’s, censée refléter un risque accru sur la dette sénégalaise, le pays a répondu sans un mot, mais avec des chiffres. Un appel public à l’épargne de 300 milliards de FCFA, lancé en septembre, vient d’être clôturé ce 10 octobre avec un résultat ahurissant : plus de 450 milliards mobilisés. En clair : pendant que les analystes de New York doutaient, les investisseurs d’Afrique, de la diaspora et du réel, eux, ont cru. Ce contraste suffit à résumer l’instant : la finance internationale a parlé, mais le marché domestique et régional a corrigé la copie.

Ce n’est pas seulement un succès technique ; c’est un désaveu retentissant pour Moody’s et, au-delà, une réaffirmation de la souveraineté économique du Sénégal. Car la confiance ne se décrète pas dans les rapports des agences, elle se construit par la cohérence des actes et la rigueur des politiques. Et ce que vient de réussir le ministère des Finances, c’est exactement cela : un acte de vérité, porté par la confiance des siens, qui balaie les préjugés de ceux qui continuent de juger l’Afrique avec des grilles obsolètes.

L’opération, structurée par Impaxis Securities et Société Générale, visait 300 milliards ; elle en a obtenu 150 de plus. Un taux de couverture supérieur à 150 %, dans un contexte mondial de tension financière, n’est pas anodin. Cela signifie que les investisseurs, loin d’être échaudés par la note de Moody’s, ont choisi de se fier à leur propre analyse : celle d’un pays sérieux, au pilotage budgétaire rigoureux, à la stratégie claire. Mieux : cette confiance a été exprimée non par des spéculateurs de court terme, mais par des épargnants et des institutions régionales qui connaissent le terrain, les réformes et le potentiel du Sénégal. C’est là toute la différence : la confiance locale vaut mille fois plus qu’une appréciation distante et biaisée.

Les marchés ont voté. Et leur verdict est sans appel : la signature sénégalaise inspire confiance. Le message envoyé par cette sur-souscription est limpide : le Sénégal reste une valeur sûre, un pays en transition mais non en turbulence, un Etat qui honore sa parole et poursuit ses engagements. Il faut le dire sans détour : dans l’univers feutré des agences de notation, où les décisions sont souvent dictées par des algorithmes et des perceptions plus que par les réalités, ce démenti par les faits est d’une portée politique considérable.

Le ministère n’a pas seulement contesté la note, il en a dénoncé l’esprit : celui d’une ingérence larvée dans la conduite des politiques publiques. En revendiquant son autonomie, il a posé un acte fort de souveraineté économique. Et les 450 milliards levés quelques jours plus tard sont venus donner chair à cette affirmation : le Sénégal décide pour lui-même, et désormais, il finance aussi par lui-même. Ce passage du communiqué, qui parle d’ingérence et d’autonomie, n’est pas un simple avertissement diplomatique ; c’est une manière souveraine d’assumer pleinement la conduite des politiques publiques.

Car la notation de Moody’s avait suscité une réaction vive et légitime du ministère des Finances. Elle était jugée inéquitable, injuste et déconnectée. Comment, en effet, dégrader un pays qui a maintenu la stabilité macroéconomique, réduit ses déficits, contenu son inflation et renoué avec la discipline budgétaire ? Le Sénégal n’a pas contesté par des mots, mais par un acte : en mobilisant en quelques semaines 450 milliards, il a donné la réponse la plus implacable qui soit. Là où Moody’s voyait une faiblesse, les investisseurs ont vu une opportunité. Là où l’agence pointait le risque, le marché a identifié la résilience. Et dans le duel entre la statistique distante et la confiance vécue, c’est cette dernière qui a gagné.

Ce succès n’est pas le fruit du hasard. Il traduit un travail méthodique des autorités financières, qui ont su restaurer la crédibilité du Trésor, assainir la dette intérieure et améliorer la transparence des émissions. Le message adressé aux souscripteurs était clair : chaque franc levé sera utilisé avec rigueur, dans des secteurs productifs et traçables. Cette promesse de sérieux a trouvé écho. Et l’on voit ici se dessiner une nouvelle ère : celle d’un patriotisme économique concret, où l’épargne nationale finance le développement national. Le Sénégal, au fond, vient de se prouver à lui-même qu’il peut compter sur lui-même.

Il faut aussi mesurer la portée symbolique de cette réussite à la veille d’un nouvel accord probable avec le FMI. Ce n’est pas un hasard du calendrier ; c’est une démonstration de force. En montrant qu’il peut mobiliser ses propres ressources, le pays renforce sa position dans la négociation internationale. Ce n’est plus un Etat quémandeur, mais un partenaire crédible, capable de lever des fonds sans tutelle ni assistance. Le Sénégal reprend la main sur sa trajectoire financière, et cette autonomie retrouvée change tout. Dans la relation avec les bailleurs, le rapport de force se redéfinit toujours par la capacité à inspirer confiance : le pays vient de prouver qu’il l’a regagnée.

Pendant ce temps, les adversaires politiques pataugent. Depuis des mois, ils agitent les mêmes refrains : crise économique, dette insoutenable, épuisement budgétaire. Ils répètent sans comprendre, dénoncent sans alternative, critiquent sans chiffres. Mais voici que la réalité leur a claqué au visage : 450 milliards levés en dix-huit jours, auprès d’investisseurs libres de leur choix. C’est un vote de confiance économique et politique, que nul discours partisan ne peut effacer. Les faits, comme toujours, sont têtus. Et ces faits-là ont la dureté d’une gifle.

Ce n’est pas seulement une victoire du ministère des Finances ; c’est une victoire de l’Etat dans son ensemble. La coordination institutionnelle, la clarté de la communication, la rigueur des procédures ont montré un appareil public qui fonctionne, qui inspire respect et qui délivre. Là où, hier encore, certains misaient sur le chaos, ils trouvent désormais une machine économique bien huilée. Le contraste est saisissant : la politique des slogans s’essouffle, la politique des résultats s’impose.

Il faut dire aussi que la réussite de cet appel public à l’épargne s’inscrit dans une vision plus large. Celle d’un Etat qui veut réduire sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur, en mobilisant ses propres forces vives : citoyens, institutions, diaspora. Cette approche est plus qu’un mécanisme financier ; c’est une philosophie. C’est le refus d’un fatalisme où l’Afrique serait condamnée à tendre la main. C’est une affirmation de maturité : “nous pouvons financer nos ambitions.” Et quand un pays africain réussit un tel coup de force, il envoie un message à tout le continent : la confiance, cela se construit, cela se mérite, et cela se garde par la constance.

Moody’s a vu du risque ; les investisseurs ont vu du potentiel. Moody’s a dégradé ; le peuple financier, lui, a souscrit. Entre ces deux lectures, il y a toute la différence entre la froideur d’un modèle et la chaleur d’un pays qui croit encore à lui-même. Et c’est précisément là que réside la portée de ce moment : le Sénégal ne s’est pas contenté de démentir une agence, il a renversé la logique. Au lieu de subir la notation, il l’a dépassée par la mobilisation. C’est une leçon de souveraineté et de confiance active.

Il reste maintenant à transformer ce succès en dynamique durable. Mais déjà, le message est clair : le pays avance, les sceptiques s’enlisent. Et dans le tumulte des interprétations, une certitude demeure : la vraie note du Sénégal, ce n’est pas celle de Moody’s. C’est celle, éclatante, des 450 milliards.

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