Par Mamadou Sèye
En célébrant Landing Savané le samedi prochain au Théâtre Sorano, le Sénégal ne salue pas seulement une figure historique. Il rend hommage à une conscience debout, à un parcours forgé dans les brasiers de l’engagement, à une parole qui n’a jamais fléchi devant la brutalité du silence. Landing est de ceux pour qui la politique n’est pas un art de gestion mais un acte de foi. Une foi rationnelle, articulée, dialectique. Une foi en la capacité des peuples à écrire eux-mêmes leur histoire, à briser les chaînes visibles et invisibles qui les entravent.
Landing Savané, c’est une époque, une méthode, un souffle. C’est la rigueur dans le rêve, le courage dans la stratégie, l’intransigeance dans la loyauté aux masses populaires. Dès les années 70, il choisit l’opposition frontale à l’ordre établi, non pour se faire une place dans l’appareil, mais pour démanteler la logique d’exploitation qui l’habite. Il fonde avec d’autres camarades de feu et d’intelligence And Jëf, bras politique d’une vision articulée autour de la Révolution Nationale Démocratique et Populaire (RNDP). Une vision exigeante, populaire, enracinée, nourrie par les apports critiques du marxisme-léninisme , du panafricanisme révolutionnaire et de la pensée de Mao.
Autour de lui, des femmes et des hommes tout aussi déterminés : Pape Touty Sow, Hamidou Dia, Mamadou Diop Decroix, Boubacar Keita, Alioune Sène, Eugénie Rokhaya Aw, Eva Marie Coll Seck, Cheikh Sow, Cheikh Tidiane Gadio, Ibrahima Basse, Madièye Mbodj, Amadou Top.La liste n’est pas exhaustive. Une constellation militante, intellectuelle, sincère, traversée par un désir incandescent de justice sociale et de libération. Ils ont été à l’origine d’une autre idée du politique : un outil de transformation, pas un simple mécanisme d’ajustement. Ils ont redonné à la politique sa densité populaire, sa charge morale, sa finalité émancipatrice.
Dans ses prisons, Landing a mis en pratique cette vérité de Lénine : « Il n’y a pas de révolution sans théorie révolutionnaire. » Et c’est dans la clandestinité qu’il a démontré la véracité du mot de Mao : « Une seule étincelle peut mettre le feu à toute la plaine. » Son étincelle a été celle de la cohérence, du refus des compromissions faciles, de l’ancrage dans les masses, car comme le rappelait Marx, « ce sont les hommes qui font l’histoire, mais ils ne la font pas dans des conditions librement choisies ». Et Landing, avec ses camarades, a tenté de modifier ces conditions par la lutte, la sensibilisation, l’organisation.
Landing fut arrêté, emprisonné, traqué. Mais jamais il ne courba l’échine. Sa parole n’a pas tremblé. Il est resté constant. Et cela, dans une époque où l’on maquille trop souvent les trahisons en évolutions, compte. Non, Landing Savané n’était pas un homme sans faute. Il serait même le premier à refuser l’onction des légendes figées. Il a fait des choix. Il a parfois désarçonné. Mais jamais il n’a transigé avec sa colonne vertébrale idéologique. Et surtout, il n’a jamais fui le débat contradictoire. Il en a été un acteur fervent. C’est là une autre marque des révolutionnaires véritables : ils ne fuient pas le dissensus, ils l’habitent.
Aujourd’hui, alors que les nouvelles autorités issues de la volonté populaire entreprennent une refondation radicale du pacte républicain, économique et institutionnel, l’héritage de Landing Savané et de ses compagnons réapparaît avec éclat. Ce qui hier semblait utopique devient une exigence. Ce qui paraissait radical devient une évidence. La rupture avec les logiques néocoloniales, la réappropriation de nos ressources, l’appel à la souveraineté intégrale : ce sont là des thèmes qui portent en eux les échos des combats d’And Jëf, réactivés dans la scène présente.
Il ne s’agit pas de fabriquer une continuité artificielle. Ni de récupérer une trajectoire. Mais il est juste, historiquement juste, de reconnaître la filiation. Le souffle qui traverse aujourd’hui les rues, les urnes, les cœurs jeunes, a été en partie nourri par ceux qui, hier, ont semé dans la douleur, dans l’ombre, dans le refus. Et Landing fut de ceux-là. Ce 17 mai, nous ne figerons pas sa mémoire dans un mausolée de convenance. Nous la raviverons. Nous l’habiterons. Il ne s’agit pas de sanctifier un homme, mais de reconnaître une trace, un legs, un feu.
Landing entre dans cette catégorie rare des éclaireurs. Il n’a pas tout fait, il n’a pas tout gagné, mais il a tout donné. Son temps, son intelligence, sa liberté. En cela, il incarne une certaine idée du politique. Une idée noble. Une idée forte. Une idée qui continue, à travers d’autres visages, d’autres mots, d’autres âges, à porter les espérances d’un peuple debout.
Merci camarade Landing. L’histoire t’écoute encore. Et la révolution de la dignité, que tu as rêvée, marche enfin vers sa réalisation. Inchangé dans l’âme, transformé dans le réel; oui, le camarade Landing n’est pas devenu un autre, il est devenu autrement.