Par Mamadou Sèye
Alors que le FMI séjourne à Dakar pour redéfinir les bases d’un nouveau programme économique, des voix tentent de réintroduire dans le débat public des notions juridiques sans portée réelle — mise en demeure, référé, sommations diverses. Cette agitation procédurale, drapée dans les habits du droit, ne résiste pourtant ni à l’analyse juridique, ni à la rigueur comptable.
A l’heure où les techniciens du FMI examinent les comptes du pays, certaines initiatives parallèles prétendent opposer la rhétorique judiciaire à la rigueur des chiffres. Lettres adressées aux institutions, menaces de mise en demeure, évocation d’un référé : tout cela relève davantage de la mise en scène que du contentieux. Le droit, lorsqu’il est convoqué hors de son champ, devient une figure de style — pas un instrument de vérité.
En droit positif, la mise en demeure n’a de valeur que lorsqu’elle s’inscrit dans un rapport d’obligation reconnu. Elle suppose un créancier, un débiteur et une dette identifiable. En dehors de cette trilogie, elle n’est qu’un courrier privé sans effet contraignant. Aucun ministre, aucun président d’institution n’est tenu de répondre à un tel acte émanant d’une autorité déchue. Le droit administratif sénégalais repose sur la hiérarchie en exercice, non sur la mémoire du pouvoir. On ne met pas en demeure la République depuis le passé.
Le référé, quant à lui, est une procédure d’urgence réservée aux situations où un droit personnel et actuel risque un préjudice irréparable. Il requiert la démonstration d’un intérêt direct et d’un dommage imminent. Or, dans cette affaire, il n’existe ni droit subjectif menacé, ni urgence matérielle. Ce serait donc un référé sans objet, condamné à l’irrecevabilité. L’outil du droit ne se prête pas aux démonstrations symboliques.
Pendant que certains redécouvrent le lexique procédural, le FMI reste concentré sur les faits. L’institution a confirmé l’existence d’engagements financiers non déclarés — autrement dit, une dette cachée. Ces engagements, intégrés aux comptes, ont porté l’endettement national à un niveau estimé à plus de 130 % du PIB. Cette donnée, reconnue par toutes les instances financières, dépasse la sphère du débat politique : elle appartient au domaine de la vérité comptable. Les chiffres ont parlé, et leur langage est universel.
Le défi du Sénégal n’est plus de commenter la dette, mais de restaurer la confiance. Cela passe par la transparence budgétaire, la rigueur dans la gestion et la clarification des responsabilités. Ce travail de vérité n’a rien de vindicatif. Il est au contraire la condition d’un redressement crédible. Le pays doit montrer que la République sait se regarder dans le miroir de ses propres comptes.
La responsabilité publique n’est pas une option morale, c’est une obligation constitutionnelle. Elle transcende les mandats et les appartenances. Ce qui est en jeu, ce n’est pas l’honneur des uns ou des autres, mais la capacité d’un Etat à demeurer fiable, lisible et souverain dans ses engagements. Les lettres et les référés n’effaceront pas les bilans ; les arguties juridiques ne remplaceront jamais la discipline des faits.
Dans ce moment de vérité économique, la sagesse commande de se taire pour calculer, d’agir plutôt que de plaider. L’histoire ne retiendra ni les effets d’audience, ni les postures, mais la lucidité de ceux qui auront préféré la réparation à la diversion. Car la dette, elle, ne se réfute pas : elle se rembourse.