Par Mamadou Sèye
Il faut avoir le courage de le dire : le service public de l’information est en panne d’âme. Ce n’est pas une question d’hommes ni de talents. Les plus grands professionnels de la presse sénégalaise se trouvent et se sont toujours trouvés au Soleil, à la RTS et à l’APS. Mais c’est une question de souffle, de vision et de mission. Le Sénégal, s’il veut réussir les grands chantiers de 2026, devra d’abord réhabiliter ce socle médiatique public, car sans une information nationale structurée, l’Etat se condamne au brouhaha des réseaux.
Autrefois, ces trois institutions formaient un véritable triangle d’or. Les directeurs généraux du Soleil, de la RTS et de l’APS se retrouvaient chaque semaine autour du ministre de la Communication pour une réunion de coordination. Ce n’était pas une simple formalité administrative, mais un moment d’intelligence collective. On y discutait du calendrier gouvernemental, des priorités éditoriales, des angles à développer. Les difficultés des rédactions étaient examinées, les besoins identifiés, les solutions proposées. Le service public parlait d’une seule voix, avec la diversité de ses plumes et la force de sa mission.
Les voyages du Président de la République étaient préparés avec rigueur. Les avant-papiers étaient élaborés, documentés, nourris. Chaque organe désignait ses envoyés spéciaux. Les journalistes du Soleil, de la RTS et de l’APS embarquaient avec le sentiment d’être au service d’une cause plus grande qu’eux : celle du pays qui se raconte à lui-même. La couverture était totale. Le peuple suivait.
Le service Grand Reportage n’était pas un ornement de rédaction : c’était une école. Les reporters parcouraient le pays, dormaient dans les régions, scrutaient la vie des chantiers, racontaient les réformes. Leurs récits avaient une vertu : ils rendaient visible la République au travail. Les ministres, les directeurs, les chefs de service appelaient les rédactions, donnaient des interviews, participaient à l’émission “Invité de la rédaction”. C’était une époque où l’Etat savait communiquer et où la presse publique savait faire parler l’Etat sans servilité.
Aujourd’hui, ce lien s’est rompu. Il arrive que les rédactions du service public apprennent sur les réseaux sociaux que le Président est déjà dans les airs pour une visite officielle. Comment, dans ces conditions, un chef du service international peut-il planifier ? Que lui reste-t-il, sinon de rédiger une brève ? La désarticulation est telle que parfois le service public suit, au lieu d’annoncer. Il réagit, au lieu d’anticiper. Et l’information officielle devient la rumeur validée après coup.
L’épisode du compte rendu rédigé par le ministre Dr Abdourahmane Diouf sur le périple du Président Diomaye Faye au Rwanda et au Kenya en dit long. Ce n’est pas une faute, mais le symptôme d’un dérèglement profond. Si un ministre en vient à relater lui-même le voyage présidentiel, c’est que les relais naturels de la communication publique ne sont plus à la hauteur de leur mission. Jadis, un tel voyage aurait mobilisé trois équipes : le Soleil pour le fond, l’APS pour le fil d’actualité, la RTS pour l’image. C’était cela, l’écosystème du service public.
Le service public de l’information, ce n’est pas une presse de cour, c’est une presse de devoir.
Sa mission n’est pas de plaire, mais d’expliquer ; non pas de séduire, mais d’éclairer. Elle repose sur un principe simple : informer pour instruire, rendre compte pour construire. Quant aux organes privés, il leur est loisible d’avoir une autre logique, avec leurs lignes éditoriales, leurs sensibilités, leurs libertés et leurs contraintes économiques. Ils jouent, eux aussi, un rôle important dans la vitalité démocratique et la pluralité des opinions. Mais la différence demeure : le service public, lui, a une obligation d’universalité. Il doit être partout où la République agit, dans les villages, les chantiers, les lycées, les hôpitaux, les usines, les frontières. Il ne choisit pas les sujets selon la mode du jour, mais selon la mission d’Etat. C’est cela, sa grandeur. Et c’est cela qu’il faut restaurer.
Les réseaux sociaux ont modifié les circuits de diffusion, c’est un fait. Mais le numérique ne remplacera jamais la légitimité du terrain.
Le Soleil et l’APS ont eu la lucidité d’investir dans le digital, de diversifier leurs supports, de moderniser leurs plateformes. Mais il faut plus : il faut des journalistes en mission, des équipes mobiles, des rédactions libérées du poids de la survie quotidienne. Il faut revaloriser les frais de reportage, permettre à ceux qui représentent la voix du public d’être présents sur tout le territoire, sans dépendre de la bonne volonté des services.
Le service public de l’information doit redevenir le cerveau communicant de l’Etat.
La coordination entre les directions générales du Soleil, de la RTS et de l’APS doit être restaurée, avec un dispositif stratégique sous la supervision du ministre de la Communication. Il ne s’agit pas de fabriquer une voix unique, mais de produire une cohérence. Le Sénégal ne peut se permettre un Etat bavard et un service public muet.
Réhabiliter le service public de l’information, c’est réhabiliter l’Etat dans sa capacité à parler à son peuple.
C’est redonner confiance à l’opinion, c’est reconstruire le fil rompu entre l’action et la narration. C’est aussi un acte de souveraineté : car un pays qui ne raconte pas ses propres réalisations laisse d’autres les raconter à sa place.
Le philosophe dira que l’Etat est une idée avant d’être une structure. Le journaliste, lui, sait que cette idée ne vit que si elle est racontée. Et le maoïste — celui qui sommeille encore en nous — ajoutera que la parole du peuple passe par ceux qui, chaque jour, donnent la voix aux sans-voix. Voilà pourquoi, camarade, le combat pour la réhabilitation du service public de l’information n’est pas un combat corporatiste. C’est un combat pour la mémoire, pour la dignité, pour la clarté du discours national.
Un pays sans service public fort est un pays sans colonne vertébrale.
Le moment est venu de lui redonner sa mission, sa dignité et ses moyens. Car dans ce Sénégal en devenir, il faut que la République retrouve sa voix — claire, responsable et fière d’elle-même.