Le pouvoir des réseaux : de la dérision à la direction

Par Mamadou Sèye


Longtemps tournés en dérision, les réseaux sociaux ont fini par imposer leur tempo, leur langage et leurs figures. Au Sénégal, ils ont même été le terreau d’une conquête politique inédite. Mais cette nouvelle puissance soulève aussi des défis : entre régulation et liberté, entre viralité et vérité.


On a d’abord ri. À gorge déployée. D’un côté les institutions solennelles, les colloques sérieux, les éditoriaux compassés. De l’autre, des tweets nerveux, des vidéos en tongs, des directs Facebook à l’éclairage incertain. On disait : « Ce n’est pas sérieux. » Pourtant, ce monde de likes et de hashtags a fini par débouler dans l’arène politique avec la force tranquille d’un bulldozer.

Le Sénégal, dans cette trajectoire, a fait figure de laboratoire. On se souvient : au départ, PASTEF, c’était « le parti de Facebook », la blague facile des salons huppés. Aujourd’hui, c’est le parti de la République. Les levées de fonds en ligne, les campagnes de sensibilisation virales, les mobilisations citoyennes numériques ont construit une force que les médias traditionnels ont souvent regardée avec condescendance… jusqu’à ce qu’elle les dépasse.

Mais attention : ce triomphe ne signifie pas que tout est vertueux dans les réseaux sociaux. C’est un outil. Ni bon, ni mauvais par essence. Il amplifie, il accélère, il court-circuite. Il donne la parole à ceux qui n’y avaient jamais accès. Mais il ne la filtre pas. D’où les fake news, les lynchages numériques, les bulles de haine. Le même levier qui a éveillé des consciences peut aussi anesthésier l’esprit critique.

Le paradoxe est là : comment défendre une liberté d’expression élargie tout en luttant contre la désinformation ? Comment garder l’âme des réseaux – leur spontanéité, leur irrévérence, leur énergie – sans céder à la tentation du chaos ou de la manipulation organisée ?

C’est ici que l’État est attendu. Non pas comme censeur, mais comme arbitre. Non pas pour contrôler le contenu, mais pour protéger les citoyens, leur vie privée, leur intégrité, leur sécurité. Cela suppose une régulation intelligente, contextualisée, démocratique. Cela suppose aussi que les acteurs eux-mêmes – les plateformes, les influenceurs, les utilisateurs – prennent conscience de leur rôle. À grande puissance, grande responsabilité.

Et les médias dans tout ça ? Ils ont deux choix. Soit continuer à pleurnicher sur leur déclassement. Soit se réinventer. Car ce que les réseaux ont prouvé, c’est que le public veut être inclus, entendu, impliqué. Il ne veut plus qu’on lui parle d’en haut. Il veut dialoguer. Participer. Partager. Le journalisme qui survivra sera celui qui comprendra cela.

Les réseaux sociaux ont déjà changé la donne. La vraie question, désormais, c’est : qui saura jouer avec ces nouvelles règles sans perdre son âme ni sa rigueur ? Le monde d’aujourd’hui ne pardonne ni la suffisance, ni l’ignorance numérique.

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