Presse et pouvoir : lucidité, responsabilités et nécessité de clarification

Par Mamadou Sèye


L’annonce d’un appui de l’ADPME aux entreprises de presse a ravivé des tensions anciennes. Si le contexte politique est particulier, les relations entre la presse et les nouvelles autorités méritent d’être analysées avec distance. Loin des procès d’intention, une dialectique s’impose entre liberté, responsabilité, assainissement et viabilité économique.


La récente décision de l’Agence de Développement et d’Encadrement des Petites et Moyennes Entreprises (ADPME) d’accompagner les entreprises de presse a jeté un pavé dans la mare. Il n’en fallait pas plus pour que le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse (CEDEPS) parle de récupération politique. Comme si toute initiative visant à aider un secteur aussi stratégique était forcément suspecte. Et pourtant…

Le paradoxe est entier : les acteurs de la presse appellent à l’assainissement, mais rejettent nombre de mesures qui vont dans ce sens. La vérité est peut-être ailleurs. Car au-delà des tensions conjoncturelles, il y a des réalités structurelles : une prolifération de titres, une course à l’aide publique, une logique de survie parfois déconnectée des exigences du marché.

Créer un organe de presse, c’est avant tout entreprendre. Et comme toute entreprise, un média a vocation à fonctionner selon des règles économiques, sans s’autoproclamer déficitaire dès le départ pour justifier un soutien. Résultat : une inflation de demandes, un volume d’aide en hausse, mais une frustration générale. Personne ne semble s’en satisfaire.

Soyons clairs : l’aide à la presse ne saurait reposer uniquement sur des espèces sonnantes et trébuchantes. Elle gagnerait à être réorientée vers des mécanismes plus indirects : subvention du papier, facilitation de l’accès à Internet, soutien logistique, baisse des charges fiscales spécifiques… autant de leviers à envisager pour accompagner la presse sans l’assister. Ce sont des propositions, pas encore des décisions de l’Etat, mais elles méritent d’être explorées.

Et puis, il faut dire une vérité simple : si l’on s’en tenait à une certaine presse, les nouvelles autorités n’auraient jamais accédé au pouvoir. Elles ont su intelligemment investir les réseaux sociaux, contourner les circuits classiques. N’empêche, une fois aux responsabilités, elles ont trouvé un code de la presse en vigueur — et elles ont décidé de le faire appliquer. Cela leur est aujourd’hui reproché. Parfois injustement.

Le ministre de la Communication, très tôt ciblé par des accusations infondées, est en réalité dans une dynamique inclusive. Il reçoit, consulte, écoute. Son seul tort : évoluer dans un secteur sensible, où les nerfs sont à vif. D’autant que le président de la République a, lui aussi, posé des garde-fous : « Il est hors de question d’enjamber l’autorité du ministre ou du Premier ministre pour s’adresser directement à moi. Je vous aurais donné les mêmes réponses. » Fermez le ban.

Le Premier ministre, lui, a récemment résumé la philosophie du gouvernement : « Chacun a le droit de dire ce qu’il veut, mais il engage sa responsabilité. » C’est là où tout se joue. L’Etat ne musèle pas. Il ne régente pas un espace numérique devenu tentaculaire. Il rappelle juste les règles. Et face aux excès, il assume ses devoirs.

Car il y a aussi une forme de dérive dans le paysage médiatique : des combats politiques menés par procuration, des unes aux titres tapageurs sans fond journalistique, des tribunes qui relèvent plus de l’invective que de l’information. Le professionnalisme et la crédibilité des supports, ce sont eux qui appellent la publicité — pas des appels désespérés à une générosité publique aux contours flous.

Le problème est simple : que chacun prenne ses responsabilités. Les employeurs, les travailleurs, et l’Etat. Ce dernier n’a pas à se substituer à quiconque. Mais il doit garantir un cadre. Ni complaisance, ni vendetta. Juste de la clarté.

Dans cette nouvelle phase, la presse doit être respectée, certes. Mais elle doit aussi se respecter elle-même. L’époque des passe-droits, des aides distribuées dans le brouillard, des discours à géométrie variable touche peut-être à sa fin.

Et s’il faut saluer une avancée, rappelons que selon Reporters Sans Frontières, le Sénégal a gagné plus de 20 places dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse. Aucun journaliste en prison. Cela compte. Cela dit quelque chose.

Ce n’est pas encore la panacée. Mais c’est un signal. Et peut-être, le début d’une dialectique nouvelle : lucide, exigeante, responsable. Celle d’une presse qui se tient debout — et d’un pouvoir qui n’a rien à craindre d’elle, dès lors qu’il la respecte sans la redouter.

Un commentaire sur « Presse et pouvoir : lucidité, responsabilités et nécessité de clarification »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *