Par Mamadou Sèye
Entre l’espoir immense d’hier et le silence pesant d’aujourd’hui, un fossé s’est creusé. Le Président travaille, le peuple attend. Et le Sénégal, naguère modèle de ferveur démocratique, s’enfonce dans une indifférence qui inquiète. Voici venu le temps des vérités fraternelles.
Il y a des silences plus éloquents que les cris. Depuis plusieurs semaines, le pays s’est tu. Ce silence n’est pas celui du calme retrouvé, mais celui d’un désenchantement diffus. Le Sénégal, qui avait rêvé d’une rupture, d’une République réconciliée avec la probité et la justice, semble s’être arrêté en chemin. Le pouvoir avance, les institutions fonctionnent, mais le peuple ne suit plus. L’élan populaire s’est éteint, et personne ne semble s’en apercevoir.
Rien n’est plus dangereux pour un pouvoir issu de l’espérance que l’indifférence. Ce n’est pas la colère qui renverse les régimes, c’est la lassitude. Le pays ne boude pas son Président : il s’en éloigne, doucement, comme on s’éloigne d’un rêve dont on a compris qu’il tarderait à se réaliser.
Le Président Diomaye Faye avait hérité d’un capital moral exceptionnel : la légitimité d’un peuple qui voulait croire à la vertu. Ce peuple n’attendait pas des miracles, mais une incarnation. Il voulait sentir, à travers chaque geste, chaque mot, que quelque chose avait véritablement changé. Or, entre l’Etat et la rue, entre le sommet et la base, un voile s’est installé. Les décisions se prennent, mais l’émotion ne suit plus.
Les voyages présidentiels, qui suscitaient naguère enthousiasme et fierté, sont devenus des séquences sans écho. Les débats publics tournent autour de questions secondaires, pendant que les chantiers essentiels s’enlisent. La communication du pouvoir n’inspire plus : elle explique, elle justifie, mais elle ne galvanise plus.
Si le désenchantement s’enracine, c’est surtout parce que la justice tarde. L’opinion populaire ne vit pas de dossiers techniques, mais de symboles visibles. L’électeur de PASTEF voulait que la justice se lève, rapide et sereine, comme un signal moral fort. Au lieu de cela, elle s’installe dans la lenteur procédurale, au point que beaucoup doutent de sa détermination réelle.
Les peuples peuvent patienter pour le pain, rarement pour la justice. C’est elle qui fonde la confiance dans le pouvoir. Quand elle traîne, c’est toute la République qui s’essouffle. La lenteur judiciaire devient ainsi un poison doux, qui dissout la ferveur sans éclat ni vacarme.
Ironie de l’histoire : l’unique point de convergence entre les partisans de l’ancien régime et ceux du nouveau pouvoir se résume à un malaise commun vis-à-vis du Président. À l’APR, beaucoup jugent que “les habits de Président sont trop amples” pour lui, que la fonction l’a absorbé au lieu qu’il la transcende. A PASTEF, une majorité silencieuse murmure qu’il s’est éloigné des fondamentaux du projet — cette radicalité morale et populaire qui avait fait la singularité du mouvement.
Ces deux regards, pourtant antagonistes, finissent par se croiser dans un scepticisme partagé. C’est cela, le vrai danger : non la contestation, mais la perte du magnétisme. Un chef n’est fort que lorsqu’il incarne plus qu’il ne gouverne.
L’histoire politique africaine regorge de Présidents qui ont commencé en libérateurs et fini en solitaires. C’est que le pouvoir, chez nous, use plus qu’il n’élève. Tocqueville avait raison : “Les peuples démocratiques pardonnent tout, sauf qu’on les déçoive dans leurs espérances.” Le Président Diomaye, homme de foi, de rigueur et de travail, doit entendre ce murmure du peuple qui ne parle plus.
Être Président, ce n’est pas seulement administrer ; c’est capter le souffle national, traduire l’espérance en mouvement, maintenir la flamme quand le quotidien l’éteint. Le peuple n’attend pas qu’il soit parfait — il attend qu’il soit présent, pas au-dessus de la mêlée, mais au cœur de la mêlée.
Les efforts gouvernementaux sont indéniables : discipline budgétaire, relance de l’économie, rigueur dans les institutions. Mais ces efforts se heurtent à une pesanteur morale : l’impression que le pouvoir n’écoute plus, qu’il s’abrite derrière sa bonne conscience. Cette déconnexion n’est pas volontaire. Elle est insidieuse. Le Président, dans sa sincérité, croit probablement bien faire. Mais l’histoire montre que les vertus techniques ne suffisent jamais à sauver les régimes qui perdent la ferveur symbolique. Le Sénégal ne s’enflamme plus, ne rêve plus — il calcule. Et un peuple qui calcule n’espère plus.
Le Sénégal a été, ces dernières années, un laboratoire de maturité politique admiré dans toute l’Afrique. L’alternance pacifique, la jeunesse au pouvoir, la promesse d’un Etat éthique : tout cela formait une respiration nouvelle. Mais la démocratie n’est pas un héritage : c’est une conquête quotidienne. Le Sénégal ne demande pas un retour à la confrontation, mais un retour au lien. Ce peuple n’est pas ingrat : il est vigilant. Il ne réclame pas la démission de son espoir, mais la réapparition de son leader.
L’heure est venue de réconcilier l’Etat et la ferveur, la compétence et la proximité, la rigueur et la chaleur. Diomaye n’a pas perdu le peuple — il a simplement cessé de lui parler dans le langage du rêve. S’il retrouve cette parole juste, celle qui parle aux ventres autant qu’aux consciences, alors le Sénégal retrouvera sa lumière. Sinon, le pays risque de glisser dans cette indifférence glacée qui précède les désillusions profondes.
Un pouvoir n’est fort que s’il se souvient de sa promesse initiale.
Le Président n’a pas besoin d’être défendu. Il a besoin d’être rappelé à la flamme. Celle qui l’a porté. Celle qu’il a incarnée. Celle que le peuple attend encore de voir brûler.