Derrière le tumulte politique, un autre chantier, plus silencieux mais déterminant, prend forme : celui de la souveraineté économique. Le Sénégal entre dans une phase où l’énergie, l’agriculture, la rigueur de l’Etat et la jeunesse pourraient enfin converger pour bâtir un modèle endogène et durable.
Par Mamadou Sèye
Sous la poussière du débat politique, le Sénégal prépare son virage le plus décisif depuis l’indépendance : celui de la souveraineté économique Le temps des slogans est passé. Voici venu celui des comptes, des ressources et des modèles. Et paradoxalement, c’est au moment où le pays traverse des ajustements douloureux que se dessine le plus grand potentiel de rebond.
Le premier indicateur, c’est l’énergie. Avec les gisements de Sangomar, Grand Tortue Ahmeyim et d’autres encore en phase d’exploitation, le Sénégal devient un acteur énergétique de rang intermédiaire, capable de couvrir une partie de ses besoins et d’exporter. Ce ne sera pas une manne automatique — car le piège des “rentes rapides” guette — mais si la gouvernance est rigoureuse, le pétrole et le gaz pourraient financer la diversification économique plutôt que l’enrichissement d’une caste. La vraie question sera : comment transformer ces revenus en infrastructures, en savoir-faire et en emplois durables ?
Deuxième levier : l’agriculture. Longtemps reléguée, elle revient au centre de la stratégie nationale. Le pari est clair : sécuriser l’alimentation du pays avant de songer à exporter. Avec les nouvelles techniques d’irrigation, les filières arachide, riz et horticulture peuvent redevenir compétitives. Le défi, c’est la logistique : routes rurales, stockage, transformation. Mais si le Sénégal réussit à faire de la souveraineté alimentaire une réalité, il réduira sa dépendance aux importations et stabilisera sa monnaie.
Troisième front : la refondation de l’Etat économique. Pendant des décennies, le Sénégal a vécu sous le régime du capitalisme d’intermédiation : licences, agréments, marchés captés par une minorité proche du pouvoir. Aujourd’hui, la promesse est d’en finir avec ce système — non pas en cassant les entreprises, mais en libérant la concurrence et la transparence. La réforme des marchés publics, la digitalisation fiscale et le contrôle citoyen doivent devenir les piliers du nouveau contrat économique. Si ces réformes résistent aux inerties, elles feront du Sénégal l’un des pays les plus crédibles du continent.
Mais la transformation ne se fera pas sans le capital humain. L’éducation, la formation technique et le numérique sont les véritables gisements de croissance. La jeunesse sénégalaise — instruite, connectée, ambitieuse — est prête. Ce qui manque, c’est l’adéquation entre les diplômes et le marché du travail. La réorientation vers les métiers productifs (agro-industrie, énergies renouvelables, services numériques, maintenance industrielle) sera la clé du prochain cycle.
Dans la région, le contexte joue en faveur du Sénégal. L’instabilité du Sahel, paradoxalement, fait de Dakar un refuge économique et diplomatique. Les investisseurs recherchent la stabilité juridique et institutionnelle. Et dans un monde multipolaire où l’Afrique devient un espace stratégique, le Sénégal peut capitaliser sur sa réputation de fiabilité.
Bien sûr, les défis persistent. La dette publique reste un fardeau, même après la reconnaissance de la “dette cachée”. Les recettes fiscales sont fragiles et les attentes populaires immenses : pouvoir d’achat, logement, emploi des jeunes. Mais la différence, c’est que pour la première fois depuis longtemps, la direction économique du pays semble alignée sur la réalité, et non sur le marketing.
Ce qu’on observe, c’est une mutation lente mais cohérente : d’un Etat distributeur à un Etat producteur, d’une économie d’importation à une économie de transformation, d’une dépendance à une interconnexion maîtrisée. Le Sénégal avance, entre lucidité et ambition. Le socle est posé, la dynamique enclenchée.
Le Sénégal n’a jamais été aussi proche de sa maturité économique — à condition de rester fidèle à son exigence morale.