Le Sénégal entre dans la cour de la BERD : un pas vers une souveraineté financière éclairée

Par Mamadou Seye

Dans la discrétion des cénacles diplomatiques et bancaires, une décision majeure a été actée : le Sénégal devient le 78ᵉ pays actionnaire de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD). L’événement pourrait sembler technique, réservé aux seuls initiés des marchés et des agences de notation. Il n’en est rien. C’est une avancée stratégique, un saut qualitatif dans l’architecture du financement du développement du Sénégal. Ce pays, naguère périphérique dans les jeux d’alliances économiques, est en train de tisser une toile de souveraineté plurielle, où chaque partenariat renforce ses marges de manœuvre. L’adhésion à la BERD en est une illustration magistrale.

La BERD, bras armé économique de l’Europe post-guerre froide, avait pour mission originelle d’accompagner les anciennes économies socialistes vers l’économie de marché. Depuis, ses mandats ont évolué, son champ géographique s’est élargi, mais sa doctrine reste fondée sur le soutien massif au secteur privé, aux infrastructures durables et aux transitions économiques vertes. Elle n’est pas une banque d’aide, c’est une banque de transformation. Et le Sénégal, par son adhésion, fait le pari d’un capitalisme éclairé, structuré, tourné vers la modernité productive.

Ce mouvement n’est pas anodin. Il s’inscrit dans une époque où les Etats africains cherchent à sortir du face-à-face exclusif avec les bailleurs traditionnels. L’Afrique change de partenaires, de grammaire économique, de méthode. A l’heure où les financements sont de plus en plus conditionnés par des indicateurs de gouvernance, de transparence et de viabilité environnementale, la BERD offre une alternative intelligente : de l’argent, oui, mais de l’argent structurant. Pas une perfusion, un investissement. Pas un don, un pari sur la performance.

Pour le Sénégal, c’est une aubaine. L’économie du pays est en transition : nouveaux gisements de gaz et de pétrole, ambitions logistiques, numérique émergent, relance agricole, villes en mutation. Tous ces secteurs sont dans le radar d’intervention de la BERD. Elle n’impose pas, elle accompagne. Elle ne vient pas seule, elle attire d’autres investisseurs. Sa présence agit comme un label, un effet de levier. C’est le sésame qui peut ouvrir les vannes d’un financement plus éthique, plus audité, plus durable.

Mais le vrai enjeu est ailleurs. Il est dans la capacité du Sénégal à convertir cette adhésion en opportunités concrètes pour ses PME, pour ses start-ups, pour ses territoires fragiles. Il ne s’agit pas de célébrer l’entrée dans un club élitiste. Il s’agit d’utiliser la puissance de ce club pour forger une économie nationale plus robuste, moins dépendante de la commande publique, plus innovante. En filigrane, c’est l’idée même de souveraineté économique qui se redessine : non pas s’isoler, mais s’insérer dans les bons réseaux, ceux qui élèvent au lieu d’asphyxier.

L’entrée dans la BERD est donc un test, une alerte douce adressée à nos élites administratives et économiques. Il faudra des projets, des équipes, des montages solides. Il faudra éviter les querelles de guichet, les rivalités institutionnelles, les lenteurs bureaucratiques. Le capital est désormais là, reste à lui donner une trajectoire nationale. Cette trajectoire ne peut être qu’inclusive, verte, territorialisée.

En ces temps où l’Afrique scrute ses marges de liberté et ses chemins d’émergence, le Sénégal vient d’élargir son horizon. Encore faut-il y projeter une vision.


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