Par Mamadou Sèye
La foi est un trésor intime. Elle élève, apaise, console. Mais elle peut aussi, mal cultivée, devenir carcan, masque ou marché. Le suicide de Serigne Issa Touré, maître coranique recherché pour des faits présumés d’abus sexuels, n’est pas un simple fait divers. C’est un miroir tendu à notre société tout entière. Il nous oblige à regarder en face une vérité dérangeante : la métaphysique peut tuer.
Que s’est-il passé dans la tête de cet homme ? Que redoutait-il plus que tout ? Le regard de ses semblables ? La honte ? La justice des hommes ? Ou la sentence divine ? Le suicide, dans un contexte musulman, où il est considéré comme une offense grave à Dieu, n’est pas un acte anodin. Lorsqu’il est posé par un homme drapé du titre de Serigne, il devient séisme. Il y a dans ce geste une violence indicible : celle d’un homme qui, ayant bâti son autorité sur le Coran, se dérobe à toute explication, à toute réparation, à toute justice.
Mais la tragédie va bien au-delà d’un homme. Ce drame soulève mille questions, et surtout une : jusqu’à quand allons-nous laisser prospérer ces espaces d’impunité morale et sociale que sont certains daaras non régulés ? Jusqu’à quand allons-nous tolérer, au nom de la tradition, des pratiques où des enfants confiés pour apprendre le Livre sont parfois livrés à l’arbitraire, à l’humiliation, à l’exploitation, au silence ? Jusqu’à quand allons-nous fermer les yeux sur la perversion de certains rôles religieux ? Ce n’est pas de stigmatisation qu’il s’agit, mais de lucidité.
Il existe bien sûr des maîtres coraniques admirables, dévoués, humbles, transmettant avec rigueur et amour. Mais il faut le dire clairement : la foi ne donne pas le droit de nuire. Être habillé d’une djellabah ne sanctifie pas une vie. Le costume ne fait pas le juste. Le titre de Serigne ne doit pas être un bouclier contre la reddition des comptes. Le Prophète (PSL) lui-même, lorsqu’on l’interpellait avec respect, disait : « Je suis fils de femme, je mange comme vous, je marche comme vous ». Il n’a jamais cherché l’impunité derrière la sacralité.
Il faut que l’Etat assume enfin ce débat. Il faut que la République ose parler de Dieu, sans frissonner de peur. Le spirituel a trop longtemps été livré au commerce symbolique. Et c’est pourquoi des imposteurs prospèrent. Ils jouent sur l’ignorance, sur la crédulité, sur la quête légitime de sens dans un monde incertain. Ils endossent la religion comme un déguisement social, une rente, un camouflage. Cela doit cesser.
La foi, on le sait depuis Pascal, est « une grâce », pas une transaction. Elle est de l’ordre du for intérieur. Mais dans une société, elle doit s’articuler aux normes communes. Elle ne saurait justifier l’enfermement de jeunes enfants, l’absence de soins, la misère érigée en vertu, ni l’autorité sans contrôle. La foi ne peut être le masque de la violence ni l’alibi du viol. Et quand elle l’est, c’est le devoir des citoyens de la dénoncer, non en ennemis de Dieu, mais en gardiens de la dignité humaine.
Le suicide de Serigne Issa Touré est un signal. Il doit provoquer un sursaut. Il faut que cette tragédie fasse date. Car elle dit l’urgence de mettre fin au silence, à l’hypocrisie, à la complaisance institutionnelle. Elle dit l’urgence d’un conseil interministériel sur l’encadrement des lieux d’enseignement coranique. Elle dit l’urgence de restaurer la confiance entre la religion et la République.
Ce n’est pas un combat contre l’islam. C’est un combat pour l’islam. Pour sa beauté. Pour son exigence. Pour sa lumière. Et pour ses enfants. Il y a des douleurs que l’on ne doit plus taire. Des vérités qu’il faut enfin hurler.