Par Mamadou Sèye
Le pouvoir travaille, mais le peuple s’ennuie. Voilà le paradoxe de notre temps. On construit, on réforme, on planifie, mais l’âme du pays semble en veille. L’énergie du renouveau s’est diluée dans la gestion, la ferveur s’est perdue dans la procédure. Ce qui devait être une refondation nationale se transforme peu à peu en routine gouvernementale.
Le président Diomaye inspire encore le respect par sa probité, sa discrétion, sa rigueur. Mais le peuple, lui, attend la chaleur du verbe, la puissance du symbole, le sens du geste. Gouverner, ce n’est pas seulement administrer, c’est créer du mouvement dans les consciences. Or, tout semble figé. Le Sénégal a la tête en marche, mais le cœur à l’arrêt.
L’élan du début, cet appel au Set Setal citoyen, avait pourtant réveillé quelque chose de rare : un sursaut collectif, un sentiment de participation à une œuvre commune. Les balais étaient devenus des drapeaux. Puis la poussière est retombée. Le peuple a repris sa routine, le pouvoir son silence. Et l’on a vu renaître les petits débats creux, les querelles mesquines, les postures opportunistes.
Pendant ce temps, les anciens notables du désordre ont refait surface. Ceux qui devaient s’effacer paradent, discourent, provoquent. Les visages de la compromission reviennent sur le devant de la scène, comme si rien ne s’était passé. Et cela, camarade, c’est un échec symbolique. Quand le vice parade et que la vertu se tait, c’est que l’autorité s’est émoussée.
La justice, quant à elle, avance comme une tortue dans une mare d’huile. On s’y perd, on s’y endort. Les procédures s’éternisent, les signaux se brouillent. Le peuple n’a pas besoin d’un droit lent, il a besoin d’une justice visible, rapide, équitable. L’injustice, dans nos sociétés, ne tue pas par la violence mais par la lenteur.
Et pourtant, camarade, tout n’est pas sombre. Le pays bouge, les chantiers sortent de terre, les projets structurants s’enchaînent. Mais ce mouvement n’est pas habité par une parole fédératrice. Le pouvoir agit, mais il ne raconte plus son action. Il a perdu le sens du récit, cette dimension mythique qui relie les gouvernés à leurs gouvernants.
Le maoïste en nous dirait que le problème est simple : le parti ne marche plus au rythme du peuple. L’avant-garde s’est enfermée dans la gestion pendant que les masses patientent dans l’attente d’une promesse vivante. On a confondu la révolution avec l’administration. On a oublié que gouverner, c’est aussi sentir battre le cœur du peuple, marcher dans sa poussière, entendre ses impatiences.
Mao disait : “Il faut aller aux masses, apprendre d’elles avant de leur enseigner.” Le pouvoir actuel semble parfois l’avoir oublié. Il parle depuis le sommet, alors qu’il devrait écouter depuis la base. L’humilité révolutionnaire, cette faculté de s’imprégner des rythmes populaires, s’est effacée devant la technostructure. Et le peuple, qui ne déteste pas la rigueur, déteste par-dessus tout l’indifférence froide.
Ce n’est pas de corruption qu’il est question, ni d’incompétence. C’est de vibration morale. Le peuple a besoin d’un verbe qui le ressaisit, d’un projet qui le dépasse, d’une foi politique qui transcende le quotidien. Tant que cette dimension poétique manquera, le Sénégal avancera sans enthousiasme, et la révolution se fera sans passion.
Le danger, camarade, ce n’est pas la contestation : c’est le “bof” collectif. Quand les masses cessent d’espérer, quand elles regardent sans y croire, quand elles se disent “ils font ce qu’ils peuvent”, le pouvoir commence à mourir dans le silence.
Il faut un réveil. Il faut que le Président parle comme un homme qui croit encore à sa propre promesse. Il faut qu’il prenne la parole non pour expliquer, mais pour enflammer. Qu’il dise au peuple que le combat continue, que la souveraineté n’est pas un slogan mais une ascèse, que la justice n’est pas un discours mais une marche.
Le Sénégal n’a pas besoin d’un gouvernement parfait, il a besoin d’un Etat vivant. Le peuple n’a pas renoncé. Il attend simplement qu’on redonne à la politique son souffle et à la Nation son rêve. Il est temps que le pouvoir sorte de son mutisme, car le peuple, lui, n’a jamais cessé de parler dans le silence de ses espoirs.