Les Traîtres du Soleil Noir

Par Mamadou Sèye

Le vent chaud d’Afrique souffle sur nos consciences, camarade. Et il charrie une colère ancienne. On nous parle de démocratie, de stabilité, de respect des institutions, pendant que les vieux lions du pouvoir s’accrochent à leur trône comme à un héritage divin. Paul Biya, 92 ans, s’offre un nouveau mandat de sept années de trop. Alassane Ouattara, en Côte d’Ivoire, rêve d’un quatrième mandat. Des vieillards que le temps a fatigués, mais que la soif du pouvoir tient debout comme des marionnettes d’ivoire. Ils ne dirigent plus, ils s’accrochent. Ils ne guident plus, ils bloquent.

Et pendant ce temps, les peuples s’épuisent dans des républiques figées, où la jeunesse ne sert qu’à applaudir et à voter avant de repartir vers l’exil. Nous assistons, camarade, à une tragédie sans nom : des coups d’Etat civils, plus pernicieux encore que les coups d’Etat militaires. Les premiers se maquillent de légalité, les seconds au moins ont la franchise du sabre. Les coups d’Etat civils sont les plus dangereux, parce qu’ils se drapent du suffrage universel pour mieux étouffer la souveraineté populaire. Ce sont les coups d’Etat de la constitution révisée à la demande, du Conseil constitutionnel aux ordres, des scrutins verrouillés, des oppositions domestiquées. Ce sont les putschs des costumes bien repassés, des serments juridiques, des bulletins falsifiés. Ils ne tirent pas des balles, mais des décrets. Ils ne marchent pas sur les palais, ils y demeurent.

Et l’Occident, complice silencieux, nous demande de condamner le Burkina, le Mali, le Niger, ces Nations qui, au moins, ont eu le courage de dire non à la mascarade. Pourquoi devrions-nous rire des militaires sahéliens quand les civils trahissent chaque jour l’esprit même de la démocratie ? Entre le sabre et le mensonge, entre la dictature franche et l’imposture légale, que vaut vraiment la morale internationale ? Ceux qu’on traite de putschistes à Ouagadougou ou à Niamey n’ont fait que retourner la table. Leurs peuples, fatigués de l’humiliation, ont choisi la rupture plutôt que l’agonie. Et pendant qu’on les isole, Biya et Ouattara paradent dans les salons feutrés, bénis par des chancelleries étrangères, célébrés pour leur « stabilité ». Mais quelle stabilité, camarade ? Celle des cercueils ? Celle des rêves brisés d’une jeunesse qui s’enfuit par la Méditerranée ?

L’Afrique est malade, non de ses coups d’Etat, mais de ses trahisons prolongées. Nos pères fondateurs nous avaient pourtant donné la voie. Kwame Nkrumah rêvait d’un continent unifié, souverain, où le destin africain ne serait plus écrit à Washington ni à Paris. Patrice Lumumba voulait une indépendance réelle, pas cette fiction administrée par les grandes puissances. Amílcar Cabral nous avait avertis : “Libérons d’abord nos esprits.” Et Cheikh Anta Diop, prophète scientifique et politique, nous suppliait de bâtir une Afrique de la connaissance, non de la dépendance. Mais au lieu de les écouter, nous avons préféré copier le pire des modèles occidentaux : des républiques monarchiques où le suffrage n’est qu’un rituel d’obéissance.

Nos élites ont tourné le dos au panafricanisme pour se vautrer dans le confort des palais climatisés. Elles ont remplacé l’unité par la rivalité, la solidarité par la suspicion, la révolution par la résignation. Elles ont troqué les rêves de Sankara contre les deals avec les multinationales. Et voilà où nous en sommes : des peuples divisés, des frontières héritées de Berlin, des ressources pillées, et des dirigeants plus fidèles à leurs parrains étrangers qu’à leurs citoyens.

L’Afrique a besoin d’un sursaut, d’un réarmement moral et idéologique. Elle a besoin de retrouver la voix de ceux qu’on a fait taire. Car les vrais géants du continent, camarade, ne sont pas ceux qui cumulent des mandats, mais ceux qui ont osé mourir pour une idée. Lumumba n’a pas eu le temps de vieillir, mais son nom vit dans chaque Congolais digne. Sankara n’a pas eu le temps de régner, mais sa parole inspire encore les insoumis du Sahel. Kadhafi, malgré ses excès, avait une vision : celle d’une Afrique unie par une monnaie, une armée et un rêve commun. Ceux-là étaient des bâtisseurs, pas des usufruitiers. Ils voulaient que l’Afrique se tienne debout, pas qu’elle se tienne tranquille.

Ce qui se passe aujourd’hui est une profanation de leur héritage. Comment parler de souveraineté quand des dirigeants, au crépuscule de leur vie, refusent de céder la place ? Comment parler d’indépendance quand nos Etats sont gérés comme des dynasties ? L’Afrique a besoin d’air, camarade. Et cet air-là commence à circuler. Parce qu’au milieu de ce désert politique, des visages nouveaux se lèvent, porteurs de dignité, d’audace et de savoir. Heureusement, l’espoir n’est pas mort. Il a un visage, une voix, une colère maîtrisée. Ousmane Sonko, pour beaucoup d’Africains, n’est pas seulement un dirigeant sénégalais : il est devenu le porte-drapeau d’une génération qui veut rendre sa souveraineté au continent. Il incarne ce que fut jadis le rêve de Cabral, Nkrumah, Lumumba et Cheikh Anta Diop : la conviction que l’Afrique peut penser, agir et produire par elle-même, sans tutelle, sans permission. Ce n’est pas un culte de personnalité, c’est un sursaut collectif, une conscience qui s’éveille. En lui, les peuples du Sud entendent à nouveau la musique du courage et la grammaire de la dignité.

Oui camarade, l’Afrique saigne encore, mais elle respire de nouveau. Et c’est peut-être cela le vrai tournant : le réveil des consciences face aux trônes décrépits. Les vieillards d’aujourd’hui ne sont plus les sages d’hier. Ils ne sont plus des bibliothèques : ils sont devenus des verrous. Et tant qu’ils s’accrocheront à leurs trônes, l’Afrique marchera à reculons, pendant que le monde file vers l’avenir. Alors que Biya, Ouattara et leurs semblables se cramponnent à leurs fauteuils, d’autres peuples reprennent leur destin en main. Qu’on les juge, qu’on les critique, qu’on les isole s’il le faut — mais qu’on reconnaisse au moins leur courage de rompre le cycle. Ce n’est pas le Burkina, le Mali ou le Niger qui ridiculisent l’Afrique : ce sont ces pseudo-démocrates en fauteuil roulant, qui transforment nos républiques en maisons de retraite du pouvoir.

L’Afrique n’a pas besoin de vieillards éternels. Elle a besoin de porteurs de flambeaux. Et si la torche doit être arrachée des mains tremblantes des imposteurs, qu’il en soit ainsi. Car mieux vaut un peuple debout qu’un Président à genoux.

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