Le Silence du Pouvoir et le Vacarme du Monde

Par Mamadou Sèye

Il est des moments où le silence devient plus dangereux que le bruit. Le Sénégal est à ce tournant. La Nation doute, l’opinion s’agite, les repères vacillent. Non parce que le pays manque d’action, mais parce que l’action n’a plus de voix. Le pouvoir agit, mais ne se raconte pas ; il avance, mais sans dire pourquoi. Et dans cette absence de parole, les rumeurs gouvernent, les imposteurs paradent, les anciens fossoyeurs du pays reprennent du souffle. Le Sénégal travaille, mais on ne l’entend plus respirer.

Pourtant, la réalité économique, lorsqu’on la regarde sans passion, atteste d’un effort sincère et continu. Le gouvernement a eu le courage de lever le voile sur la dette cachée héritée du régime précédent, un aveu que le FMI a confirmé, évaluant aujourd’hui la dette réelle du Sénégal à plus de 130 % du PIB. Ce chiffre, brutal, ne raconte pas une faillite, mais une vérité longtemps étouffée. Il fallait du courage pour rompre le mensonge comptable, pour choisir la transparence là où d’autres avaient préféré la dissimulation. Ce choix honore la République. Il replace le pays dans le camp de la responsabilité et de la rigueur.

Dans le même élan, le Sénégal a osé contester la sentence injuste de Moody’s, cette agence de notation qui avait, dans un réflexe néocolonial, rétrogradé le pays sans fondement objectif. Le gouvernement avait répliqué avec mesure mais fermeté, dénonçant une appréciation biaisée et spéculative. Et voilà qu’aujourd’hui, ce sont les milieux financiers américains eux-mêmes qui s’en prennent à Moody’s, pointant ses dérives et sa partialité. Le Sénégal avait raison avant tout le monde. Ce sont là des faits précis, des gestes forts, des moments de souveraineté. Mais dans le tumulte ambiant, qui les met en récit ? Qui les incarne ? Qui les élève à la hauteur d’un discours national ? Personne.

Pendant que l’Etat agit, d’autres parlent à sa place. Les héritiers du chaos budgétaire, ceux-là mêmes qui ont menti sur les chiffres, masqué les déficits et dilapidé les deniers publics, refont surface. Ils menacent, provoquent, occupent les plateaux et manipulent les réseaux. Ceux qui ont affaibli le pays se posent aujourd’hui en patriotes offensés. Ils savent que dans le vide de parole du pouvoir, le vacarme fait loi. Et pendant que l’Etat s’enferme dans sa pudeur, eux tissent la toile du mensonge.

Le pouvoir ne peut pas être une abstraction. La République, pour exister, doit être incarnée. Le Président de la République, dans sa volonté de retenue et de neutralité, semble vouloir s’élever au-dessus de la mêlée. Mais à force de distance, il devient un spectre bienveillant, une figure sans relief dans un monde en pleine effervescence. Gouverner, ce n’est pas se taire pour mieux écouter. Gouverner, c’est parler pour donner sens. Le chef de l’Etat doit dire au peuple où nous allons, pourquoi nous traversons la tempête, et comment nous en sortirons ensemble. Car l’autorité politique ne se mesure pas seulement dans les décrets signés, mais dans la capacité à nommer le moment historique et à mobiliser les consciences.

Ce peuple sénégalais, que l’on dit patient, est aussi exigeant. Il a donné de son sang pour la liberté, de sa sueur pour la République. Il endure la cherté de la vie, les factures d’électricité, les lenteurs de l’administration, mais il continue de croire. Ce qu’il ne supporte pas, c’est l’impression d’indifférence, l’absence de regard, le silence d’un Etat qui ne parle plus son langage. Les Sénégalais veulent être rassurés, pas par des slogans, mais par une parole ferme, claire et cohérente.

Le temps de la retenue est passé. Le monde d’aujourd’hui n’attend pas, il dévore. Les réseaux sociaux créent des réalités parallèles, les algorithmes amplifient les colères, les imposteurs se font prophètes et les experts autoproclamés dictent le tempo. Dans cet univers saturé d’images et de contre-vérités, la parole d’Etat n’est plus un simple instrument de communication, elle est un instrument de survie républicaine. Il ne suffit plus d’agir, il faut signifier. Il ne suffit plus d’être légitime, il faut être lisible.

La communication, ici, ne relève pas du cosmétique. Elle relève du devoir d’intelligibilité. Car un peuple qu’on n’éclaire pas finit par chercher la lumière ailleurs, souvent dans les ténèbres. L’Etat doit retrouver la majesté du verbe, non pas dans le bavardage politique, mais dans la parole rare et dense, celle qui explique, qui instruit, qui apaise. La parole présidentielle doit redevenir le moment où le pays s’écoute et se comprend. Elle doit rappeler que la République n’est pas un décor administratif, mais une idée en marche, portée par des hommes qui ont mission de guider et non de suivre.

L’histoire n’est pas tendre avec les dirigeants qui ont laissé le désordre imposer son récit. Ceux qui croient que le silence protège se trompent : le silence use l’autorité. Il donne l’impression d’un pouvoir absent, d’un Etat en apnée. Et dans les interstices de cette absence, les aventuriers s’installent. Ce pays n’a pas besoin d’un Président distant. Il a besoin d’un capitaine qui tienne la barre, d’une parole qui éclaire le cap, d’une fermeté qui rassure sans menacer. La démocratie ne demande pas l’autoritarisme, mais elle réclame une direction assumée.

Les Sénégalais ne cherchent pas un sauveur, mais un guide. Ils veulent sentir la cohérence entre le discours et l’action, la continuité entre le courage économique et la vision politique. Ils savent reconnaître la bonne foi, ils savent aussi déceler la peur. Et aujourd’hui, camarade, le peuple sent une hésitation, une prudence qui frôle la fragilité.

Mao disait que “la révolution n’avance que si les masses sentent le souffle du chef.” Ce souffle-là, il faut le retrouver. Pas pour dominer, mais pour inspirer. Pas pour imposer, mais pour entraîner. Le Sénégal est à un moment charnière où tout peut basculer — vers le renouveau ou vers la confusion. Ce n’est pas l’action qui manque, c’est le récit qui fait défaut. Et dans l’histoire des peuples, un récit absent finit toujours par être remplacé par un mythe, souvent dangereux.

Le silence du pouvoir et le vacarme du monde ne peuvent coexister longtemps. Si l’un ne s’impose pas, l’autre dévore tout. Il faut parler, expliquer, instruire, assumer. C’est ainsi que l’on gouverne les Nations. C’est ainsi que l’on restaure la confiance et que l’on empêche les imposteurs de réécrire l’histoire. Le moment est venu de reprendre la parole, non pas pour répondre, mais pour conduire. Car dans la fureur des temps modernes, un Etat qui ne parle pas cesse d’exister.


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