Le pouvoir qui se tait trop

Par Mamadou Sèye

Alors que l’affaire Madiambal Diagne monopolise l’espace médiatique, l’Etat s’apprête à lancer les grands chantiers de 2026. Mais la parole publique semble absente, et les grandes réformes s’étouffent dans le vacarme des petites affaires.

Le pouvoir actuel a un problème de parole. Non pas qu’il manque de résultats ni d’arguments. Mais il se tait là où il devrait parler, il hésite là où il devrait s’affirmer. Il agit, mais ne raconte pas ce qu’il fait. Et dans le monde d’aujourd’hui, ne pas raconter, c’est disparaître.

Au moment même où l’Etat s’apprête à lancer les grands chantiers de 2026, des projets structurants capables de redessiner la carte économique du pays, toute la presse parle d’autre chose. On ne parle que de l’affaire Madiambal Diagne, de polémiques de couloir, de propos rapportés, de petites querelles qui n’ajoutent rien à la compréhension du destin national. Voilà le drame : le secondaire dévore l’essentiel. Et si le pouvoir ne réagit pas, il sera condamné à subir la tyrannie du bruit.

La communication gouvernementale souffre d’une inhibition étrange, comme si le régime avait peur de sa propre légitimité. Il agit avec courage, mais communique avec timidité. Résultat : ceux qui n’ont rien fait réussissent à donner des leçons, et ceux qui changent réellement les choses passent pour inactifs. Ce déséquilibre ne tient qu’à une chose : l’absence d’un récit structuré, incarné, continu.

Prenons le cas de la dette cachée. C’est un exemple de vérité mal défendue. Les preuves existent, irréfutables : depuis 2017, des responsables, des experts, des parlementaires avaient attiré l’attention sur la dissimulation d’une partie de la dette publique. Le Premier ministre actuel, alors député à l’Assemblée nationale, avait publiquement alerté sur cette affaire. Une lettre avait même été adressée au FMI pour dénoncer les incohérences et la manipulation comptable de l’époque. Tout cela est filmé, archivé, documenté. Et pourtant, le pouvoir a laissé s’installer le doute, donnant du crédit à ceux qui prétendaient que tout cela n’était qu’un montage.

Il a fallu que le FMI lui-même confirme officiellement l’existence de cette dette cachée pour que la vérité prenne le dessus. Mais entre-temps, la machine du soupçon avait tourné à plein régime. Le pouvoir a perdu une bataille décisive : celle du récit. Car dans le monde médiatique contemporain, la vérité n’existe que si elle est dite, répétée, mise en scène, assumée.

Ce qui frappe, c’est ce réflexe du silence, cette croyance que la vérité finit toujours par s’imposer d’elle-même. Erreur. Dans une démocratie bruyante, la vérité doit se battre pour exister. L’opinion ne fonctionne pas à l’intuition, mais à la narration. Celui qui parle, gagne. Celui qui se tait, disparaît. Et aujourd’hui, le pouvoir s’efface trop souvent devant le vacarme organisé de ceux qui rêvent de son échec.

Ce n’est pas qu’il n’y ait pas d’efforts. Les réseaux sociaux officiels existent, des communicants travaillent, des visuels circulent. Mais il manque une architecture de parole, une cohérence stratégique, une direction politique claire. La communication d’Etat ne peut être un simple appendice technique : elle doit être une boussole idéologique, le lieu où s’exprime la vision du changement.

Le service public, notamment l’audiovisuel national, aurait dû être le moteur de ce récit collectif. Une télévision nationale n’est pas un simple canal d’information : c’est une institution symbolique, le miroir de la République. Et pourtant, elle peine encore à incarner cette nouvelle ère. Trop prudente, trop institutionnelle, trop administrative. Pas de souffle, pas de vibration, pas de pédagogie. Le citoyen ne sent pas le changement, parce qu’on ne lui raconte pas comment il se construit.

Pendant ce temps, les réseaux sociaux imposent leur tempo, les influenceurs fabriquent leurs vérités parallèles, et les fausses indignations remplacent le débat public. Le plus dangereux, c’est que cette cacophonie installe dans les esprits l’idée d’un pouvoir absent, alors même qu’il agit sur tous les fronts : moralisation, justice économique, redressement budgétaire, souveraineté nationale. Mais à quoi bon agir si le peuple n’en est pas informé, si les grandes décisions se dissolvent dans le vacarme des faits divers ?

Il faut le dire clairement : le pouvoir gouverne, mais ne raconte pas son propre gouvernement. Il réforme, mais ne symbolise pas la réforme. Il tranche, mais ne théâtralise pas la décision. Or la politique, depuis toujours, c’est aussi du théâtre au sens noble du terme : un espace où l’action doit être rendue visible, intelligible, incarnée. Gouverner, c’est aussi raconter le mouvement, donner une âme au changement.

Les communicants du pouvoir doivent comprendre une chose : le silence n’est pas une vertu politique. Dans l’espace public, il vaut toujours mieux parler imparfaitement que se taire noblement. Le mutisme stratégique finit toujours par être interprété comme une faiblesse. Et à force de se protéger de la polémique, on finit par perdre l’opinion.

Le peuple ne demande pas une propagande triomphale. Il veut simplement comprendre. Il veut voir la cohérence entre les décisions et le destin. Il veut entendre pourquoi on réforme, pourquoi on tranche, pourquoi on remet en cause certaines pratiques. C’est à ce prix que la confiance s’installe. Une confiance nourrie par la clarté, pas par la réserve.

Aujourd’hui, l’Etat a besoin d’une parole ferme, sereine, structurée, capable de mettre en cohérence les réformes, les symboles et les espoirs. Il faut que chaque action gouvernementale trouve son récit, sa pédagogie, son incarnation. La communication politique n’est pas une option, c’est une fonction régalienne. Sans elle, les meilleures réformes peuvent mourir dans le silence, étouffées par la rumeur.

Ce pays entre dans une phase charnière. Les années 2026-2027 seront décisives. Les grands chantiers qui s’annoncent — infrastructures, énergie, agriculture, éducation — vont redessiner le visage du Sénégal. Mais si l’Etat continue à se taire, d’autres parleront à sa place, et ces voix n’auront ni la vérité ni la bienveillance du peuple.

Le pouvoir doit reconquérir la parole. Pas pour séduire, mais pour éclairer. Pas pour dominer, mais pour convaincre.
Parce qu’en politique comme en communication, camarade, le silence n’est pas d’or. Il est souvent un cercueil pour les meilleures intentions.


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