Par Mamadou Sèye
Le pouvoir trébuche rarement sur des montagnes. Il trébuche sur des détails. Le tapis rouge, par exemple. Il semble anodin, presque protocolaire. Pourtant, il raconte souvent bien plus que des discours. Il dit le passage d’un monde à un autre. Celui où l’on ne touche plus le sol. Celui où le peuple regarde désormais à distance. Ce tapis-là, au début, suscitait la fierté. Il symbolisait la victoire d’un peuple sur l’arrogance des puissants. Il saluait la dignité retrouvée. On scrutait les tenues africaines, la sobriété, la retenue. Il y avait quelque chose de pur dans ces images. Aujourd’hui, le même tapis rouge commence à irriter. Non pour sa couleur, mais pour ce qu’il recouvre. Un silence. Une lenteur. Une distance. Ce peuple qui vous a tout donné n’attendait pas des miracles. Il réclamait juste un minimum de justice. Une réparation symbolique. Un signal. Une rupture. Mais les morts attendent toujours. Les voleurs d’hier affichent une insolente tranquillité. Les victimes se taisent. Et c’est là que le tapis rouge se transforme, sans bruit, en rideau entre vous et ceux qui vous ont portés.
La tragédie n’est pas le retard économique. Le peuple est résilient. La vraie tragédie, c’est le temps. Ce temps que vous invoquez sans cesse. Le temps pour installer la méthode. Le temps pour laisser la justice suivre son cours. Mais pendant que vous temporisez, le peuple, lui, compte autrement. Il compte en jours de souffrance. En mois de silence. En années de non-lieu. Camus disait que l’attente prolongée de la justice est une forme de torture. Fanon rappelait que chaque génération doit remplir sa mission ou la trahir. La vôtre n’a pas besoin de perfection. Elle a besoin d’humanité, de décence, de courage. Elle a besoin d’actes qui redonnent sens à la mémoire blessée. En vous voyant dérouler ce tapis, voyager, inaugurer, prononcer, les citoyens se demandent si vous mesurez l’épaisseur du temps qui passe. Gouverner, ce n’est pas seulement gérer. C’est sentir. Ressentir. Entendre ce qui ne s’exprime plus. Comprendre que l’horloge morale n’attend pas l’agenda gouvernemental. Le tapis rouge n’est pas le problème. Il devient un problème dès lors qu’il ne précède plus des actes, mais des absences. Il finit alors par symboliser non plus la majesté d’un pouvoir sobre, mais le confort d’un pouvoir installé. Le temps, lui, ne pardonne pas. Il ne s’excuse pas. Il révèle. Ce n’est pas la rue qui vous combattra d’abord. Ce sera l’intérieur de ceux qui vous ont aimés. Et ce combat-là, quand il commence, n’a pas besoin de bruit. Seulement de mémoire.