Les guetteurs de brouille

Par Mamadou Sèye

Il y a dans ce pays une catégorie d’esprits qui ne vit que d’ombres et de suppositions. Ils guettent la brouille, la cherchent, la fabriquent au besoin. Comme s’ils avaient besoin de la discorde pour respirer, d’une querelle pour exister. Depuis quelques semaines, les salons politiques, les plateaux de télévision et les arrières-cours de la rumeur bruissent d’une même mélodie : il existerait une tension entre le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko. Rien n’en prouve l’existence, sinon la fébrilité de ceux qui redoutent la cohérence.

Le Sénégal est ainsi : chaque fois qu’une alliance semble solide, on y projette le spectre de la rupture. Cela trahit à la fois notre fascination pour le conflit et notre incapacité à concevoir la continuité. Pourtant, rien n’est plus rationnel que la complémentarité entre Diomaye et Sonko. Le premier est la figure de l’Etat reconstruit, le second celle de la résistance transfigurée. L’un incarne la patience stratégique, l’autre l’énergie subversive. Ensemble, ils forment une synthèse rare dans notre histoire : celle du militantisme devenu gouvernance, du projet devenu pouvoir. Mais cette cohérence dérange ceux qui n’ont plus de boussole.

Les guetteurs de brouille se nourrissent d’une logique simple : plus l’espoir collectif s’enracine, plus ils cherchent la faille. Leur seule ligne politique est la suspicion, leur seule idéologie le ressentiment. Ils ont perdu le peuple, alors ils veulent perdre ceux que le peuple a choisis. Aujourd’hui, ils font des absences un crime, des silences une faute, des nuances un complot. Sonko n’a pas assisté à un Conseil des ministres ? C’est la guerre ! Il s’exprime avec fougue ? Il éclipse le Président ! Il se tait ? Il boude ! Dans leur monde sans complexité, la pensée dérange et la loyauté devient suspecte.

Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que le tandem Diomaye–Sonko n’est pas un accident, mais une nécessité historique. Dans le fracas de l’injustice et la tourmente des années d’arbitraire, deux destins se sont liés, non par calcul, mais par conviction. Ce lien-là ne se défait pas au rythme des rumeurs. Il est forgé dans l’épreuve, dans le fer rouge de la prison et le feu des humiliations. Ceux qui n’ont jamais risqué leur vie pour leurs idées ne peuvent comprendre la solidité de ce ciment.

Hélas, la rumeur n’est pas toujours l’œuvre d’idiots inoffensifs : il y a des prédateurs politiques qui rêvent d’apparaître d’abord comme alliés ponctuels, prêts à serrer la main de Diomaye, à s’asseoir à sa table, à se déclarer partenaires temporaires — pour mieux le liquider ensuite. C’est un jeu vieux comme la trahison : se faire passer pour un ami pour mieux guetter le moment de la perfidie. Ces ambitions cyniques se déguisent en “vœu pieux” d’union nationale, alors qu’elles ne sont que calculs de pouvoir. Ils entendent capitaliser sur la confiance, puis la retourner contre ceux mêmes qu’ils ont feint d’appuyer. C’est la tactique du courtisan prédateur : approcher, flatter, puis frapper.

La démobilisation de l’opposition a achevé de rendre visibles les mendiants du chaos. Privés d’ennemis visibles, ils se rabattent sur le pouvoir, espérant y semer la zizanie. Ils rêvent d’une rivalité où Diomaye serait l’instrument d’une revanche qu’ils n’ont jamais gagnée. Ces nouveaux intrigants se disent “amis du Président” et “admirateurs du Premier ministre”, mais ils sont surtout ennemis du peuple. Car au fond, leur obsession n’est pas de construire mais de briser. Leur angoisse est que le pays réussisse sans eux, que le nouveau pouvoir s’enracine sans leur bénédiction.

Pendant que ces marionnettistes fabriquent des scénarios dans leurs coulisses, la réalité politique suit son cours sur le terrain. PASTEF, loin des salons et des varangues, massifie à outrance ; il organise, mobilise, structure et prépare son congrès. Là où d’aucuns spéculent et complotent, d’autres construisent la capacité d’encadrement populaire, renforcent des bases sociales, disciplinent la pratique militante. Telle est la différence entre les faiseurs de bruit et les artisans du réel : l’un invente des conflits pour exister, l’autre construit des espaces d’action pour durer.

Sonko l’a dit, avec sa franchise coutumière : “Ceux qui croient à un tel scénario rêvent.” Et il faut ajouter : ils rêvent mal. Ils rêvent contre le cours du temps. Car le peuple sénégalais, lucide et patient, n’a pas voté pour des égos, mais pour une espérance. Ce peuple-là ne se laisse plus distraire par les querelles de coulisses. Il sait que l’essentiel se joue ailleurs — dans la réforme de l’Etat, la lutte contre la corruption, la restauration de la dignité nationale. Les guetteurs, eux, se contentent d’agiter des ombres : ils n’ont pas de vision, seulement des versions.

Leur agitation trahit une angoisse plus profonde : celle de l’effacement. L’ascension de Diomaye et Sonko les a mis face à leur propre inutilité. Ils ne sont ni craints, ni écoutés, ni suivis. Alors, ils s’inventent une influence, en prétendant savoir ce que le Président pense, ou en insinuant ce que Sonko ressent. C’est la psychologie du courtisan frustré, du conseiller déchu, du politicien recyclé dans la chronique. Ils guettent un signe, un mot, un froncement de sourcil pour crier à la rupture. C’est leur manière de conjurer leur insignifiance.

Mais il y a plus grave : derrière cette campagne de suspicion, se profile une volonté de provocation. Car si une crise institutionnelle devait éclater entre le Président et le Premier ministre, c’est tout l’édifice républicain qui vacillerait. Le pari de ces pyromanes est clair : jeter le pays dans l’instabilité pour reprendre la main. Ils oublient que le peuple sénégalais a payé trop cher sa conquête démocratique pour la livrer aux marchands de chaos. Le Sénégal n’est pas une série télévisée. Il n’a pas besoin de rebondissements, mais de résultats.

Le Président, jusque-là, garde son calme. Il gouverne avec méthode, écoute, arbitre, s’inscrit dans le temps long. Le Premier ministre, de son côté, continue de travailler, de parler au peuple, d’agiter le réel. Leur alliance n’est pas une cohabitation forcée, mais une dialectique maîtrisée. Et c’est cela que la rumeur ne supporte pas : voir deux intelligences marcher ensemble, sans qu’aucune ne trahisse sa nature. L’un incarne l’Etat, l’autre la conscience populaire. L’histoire les a placés côte à côte — et non face à face.

Ce pays de la dette cachée et des vérités dissimulées ne supporte pas la transparence des hommes sincères. Alors, on invente des complots. Mais le mensonge, ici, se heurte à une donnée immuable : la confiance populaire. Tant que celle-ci tiendra, toutes les intrigues se briseront contre elle. Les guetteurs de brouille peuvent s’égosiller, ils ne signifient rien pour Diomaye, qui reste habité par une conscience nationale rare. Et ils n’impressionnent pas Sonko, qui sait qu’il n’a rien à perdre dans un combat d’ombres.

La politique, dans sa forme la plus noble, n’est pas l’art du soupçon mais celui de la construction. Ce que le tandem Diomaye–Sonko propose au pays, c’est une expérience inédite de cohérence morale et d’efficacité politique. C’est un défi à la tradition du coup bas, à la logique du chacun-pour-soi. Et c’est précisément cette rupture culturelle que les guetteurs ne pardonnent pas. Leur brouille rêvée est en réalité une nostalgie du désordre.

A l’heure où le monde vacille, où la dette s’accumule, où les Nations cherchent leur cap, le Sénégal ne peut se permettre de retomber dans les pièges du bavardage et de la jalousie. L’histoire se joue entre ceux qui construisent et ceux qui commentent. Entre les artisans du réel et les amateurs de ruines. Diomaye et Sonko, qu’on les aime ou qu’on les craigne, appartiennent à la première catégorie. Les autres n’ont que la parole : celle des perdants qui veulent retarder la victoire des faits.

Au fond, les guetteurs de brouille n’ont qu’une fonction : révéler, par contraste, la solidité du lien qu’ils contestent. Leur agitation est la meilleure preuve de l’équilibre qu’ils cherchent à rompre. Et leur échec sera, une fois de plus, la victoire silencieuse de la raison sur la rancune.


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