L’Etat, c’est aussi l’autorité assumée

Après avoir conquis le pouvoir au prix fort, les nouvelles autorités sont en train de découvrir qu’entre vertu et fermeté, il n’y a pas antinomie. L’attente populaire n’est pas une mise en examen de leurs principes, mais une invitation à l’exercice assumé de la souveraineté.

Il y a dans l’air du temps une colère contenue. Pas une hostilité dirigée contre les nouvelles autorités, mais une exaspération à la mesure des sacrifices consentis pour les installer. Depuis quelques semaines, les militants du PASTEF, les familles des victimes, les citoyens engagés… tous murmurent à voix de moins en moins basse : « Nous avons fait notre part. Et maintenant ? »

Il faut entendre cette phrase. Elle n’est ni menace ni désaveu. Elle est cri d’alerte. En votant à 54% dès le premier tour, en offrant une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, le peuple a donné tous les instruments de la transformation promise. Or, ce que les populations observent aujourd’hui, ce n’est pas une brutalité d’Etat, mais un relâchement d’autorité. Et dans une démocratie, l’autorité n’est pas un gros mot. C’est une exigence.

Ce ne sont pas les propos de Ousmane Sonko qui posent problème. Quand le Premier ministre dit vouloir combattre ceux qui le combattent jusqu’à ce qu’ils en ressentent les effets, il traduit une saine conscience de l’adversité politique : celle qui, tapie dans les interstices, rêve d’un retour au passé. Quand Birame Souleye Diop appelle à riposter aux insultes contre Sonko ou Diomaye, il parle le langage d’une base qui a trop souffert pour laisser l’ingratitude ou la désinformation miner ce qui fut bâti dans la douleur.

Car les gens oublient trop vite. On oublie les charniers médiatiques, les prisons pleines d’opposants, les manifestants tués, les vies brisées, les familles endeuillées sous Macky Sall. On oublie les centaines de jeunes enfermés sur simple soupçon, les procès bâclés, les procureurs devenus des prolongements de l’exécutif, les avocats bâillonnés, les syndicalistes matraqués, les journalistes traqués. Ce passé n’est pas lointain. Il est encore en deuil.

Et c’est ici que le bât blesse. A force de vouloir rompre avec les pratiques de l’ancien régime, les nouvelles autorités prennent le risque de s’auto-neutraliser au nom de la vertu. On ne combat pas l’arbitraire par le laxisme, mais par la justice ferme. Or, justement, c’est du côté du ministère de la Justice que le peuple cherche des réponses… et n’en trouve pas.

Le peuple sent que c’est là que la République cale. Que la chaîne de transmission de l’autorité y est faible. Que le temps judiciaire y est en déphasage complet avec le temps politique. Que des dossiers pourtant mûrs pour être jugés stagnent dans des limbes procédurales sans fin. Que des figures notoirement impliquées dans les dérives de l’ancien régime profitent de cette lenteur pour se refaire une virginité politique.

On ne demande pas une justice politique. On demande une justice courageuse. Or, le ministère de la Justice semble être le seul à ne pas entendre les tambours sourds de la rue. Tout semble suspendu à des lenteurs calculées, à des frilosités internes, à une peur de mal faire qui, in fine, fait très mal à la dynamique de la refondation.

Le remaniement devient une nécessité. Non comme sanction. Mais comme respiration. Comme relance du tempo, comme réactivation de l’espoir. Le peuple n’est pas ingrat, il est impatient. Et cette impatience est légitime. Elle ne réclame ni vengeance ni cabale. Elle réclame la réparation et la clarté.

En politique, comme en dialectique, il faut savoir dépasser la contradiction apparente. On peut être républicain et intransigeant. Vertueux et ferme. Légaliste et décisif. Ce pouvoir n’est pas né dans un berceau de soie, mais dans une arène de feu. Il a résisté aux prisons, aux balles, aux calomnies. Il ne peut donc pas mourir de prudence.

Il est temps d’assumer l’autorité de l’Etat. De montrer que le pouvoir n’est pas un costume trop grand pour ceux qui l’ont conquis de haute lutte. Que la main tendue ne tremble pas. Et qu’un pays qui a souffert autant a le droit d’attendre que justice soit faite.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *