Par mamadou Sèye
A l’ère du digital, vouloir régenter la presse relève désormais de l’illusion. Les circuits de diffusion de l’information ont explosé, les frontières entre médias traditionnels, réseaux sociaux et plateformes citoyennes se sont effacées. La parole publique est devenue horizontale, rapide, souvent incontrôlable. Ce bouleversement a redéfini le rapport entre l’Etat, les médias et les citoyens. Dans ce nouvel ordre communicationnel, le rôle de l’Etat n’est plus de diriger, mais de garantir. Garantir la liberté, l’équité et la responsabilité, sans jamais chercher à dompter la parole.
Les nouvelles autorités, portées au pouvoir dans une large mesure grâce aux réseaux sociaux, ont vécu de l’intérieur cette transformation. Elles ont bâti leur légitimité sur la spontanéité numérique, sur une communication directe avec le peuple, contournant des canaux classiques souvent hostiles. Cette expérience a profondément modifié leur rapport à la presse. Aujourd’hui, tout en disposant du service public — désormais plus démocratisé, plus ouvert —, elles doivent composer avec une presse privée diverse, parfois critique, souvent partisane. Cette dualité n’est pas un problème : c’est le reflet d’une société vivante, pluraliste et en mouvement.
Cependant, un constat s’impose : une partie du paysage médiatique vit une crise qu’elle dénonce sans jamais l’assumer pleinement. Les difficultés économiques sont réelles, mais elles ne sont pas nouvelles. Elles tiennent autant à l’évolution des modèles économiques qu’à la dépendance entretenue vis-à-vis de certaines forces politiques ou financières. Beaucoup de médias, malgré les plaintes récurrentes, ne ferment jamais boutique, parce qu’ils bénéficient de soutiens souterrains, publics ou privés, et mènent parfois un combat par procuration. Or, cette situation crée une ambiguïté qui brouille la frontière entre journalisme, militantisme et activisme.
L’Etat, dans ce contexte, n’a pas à régenter ni à subventionner la parole. Il doit garantir la liberté d’expression, pour tous, y compris pour ceux qui lui sont opposés. C’est une exigence démocratique. Mais il n’est nullement tenu de financer des médias qui choisissent d’être dans l’opposition. La liberté ne saurait devenir un levier de rente. Le principe est simple : l’Etat assure la liberté, la presse assume la responsabilité. Chacun dans son rôle, chacun dans son périmètre.
Cette responsabilité implique d’abord la transparence économique. Une entreprise de presse n’est pas au-dessus des lois. Elle doit payer ses impôts comme toute autre structure économique. Des moratoires peuvent être envisagés, des délais peuvent être accordés, mais l’exigence fiscale demeure. On ne peut pas revendiquer la liberté de ton et refuser la discipline fiscale. Ce n’est pas l’Etat qui doit entretenir la presse, mais la presse qui doit se donner les moyens de sa souveraineté. C’est à cette condition qu’elle sera crédible et respectée.
Il faut désormais assainir sans réprimer. L’assainissement n’est pas synonyme de musellement. Il ne s’agit pas d’imposer le silence, mais d’exiger la cohérence. L’Etat doit veiller à l’application du cadre légal existant, notamment contre les délits d’injure et de diffamation, sans jamais toucher à la liberté d’expression. L’injure n’est pas un droit. La diffamation n’est pas une opinion. Ces dérives, trop souvent banalisées sur les réseaux et parfois relayées par des organes de presse, minent la crédibilité du débat public. La liberté d’expression ne peut survivre sans responsabilité morale et juridique. C’est pourquoi la justice, indépendante et impartiale, doit être le seul arbitre.
Cette justice doit s’exercer dans un climat apaisé, loin des pressions, sans chercher à protéger ni à punir quiconque pour des raisons politiques. Le juge n’a pas à trancher des opinions, mais des faits. C’est dans cet équilibre que se joue la maturité démocratique d’un pays. Garantir la liberté, punir les abus, et laisser la presse gérer ses propres difficultés : voilà la ligne juste.
Il faut aussi reconnaître que le service public de l’information a profondément changé. Il n’est plus cet instrument docile que l’on manipulait au gré des régimes. Il s’est ouvert, diversifié, professionnalisé. Il accueille aujourd’hui la pluralité et donne la parole à tous les acteurs de la vie nationale. C’est une avancée considérable qui crédibilise la parole publique. L’Etat dispose ainsi d’un outil légitime pour parler à la Nation sans étouffer les autres voix. Ce modèle, s’il est consolidé, peut devenir une référence régionale : un service public fort, mais équitable ; engagé, mais non partisan.
Dans le même temps, les réseaux sociaux demeurent un espace de liberté brut, sans filtre ni hiérarchie. C’est à la fois une chance et un risque. Une chance, car ils permettent la participation citoyenne, la circulation rapide de l’information, la mobilisation démocratique. Un risque, parce qu’ils amplifient les excès, les fake news, la violence verbale. Les autorités issues du digital connaissent mieux que quiconque cette ambivalence. Elles savent qu’on ne contrôle pas les réseaux : on y dialogue, on y convainc, on y résiste. C’est pourquoi toute tentative de “régenter” la presse ou les plateformes serait vaine. Le temps de la censure est derrière nous. Le défi, désormais, c’est d’apprendre à cohabiter avec la contradiction.
L’Etat doit donc intégrer dans sa vision qu’il existera toujours des médias d’opposition, des critiques virulentes, des plumes irrévérencieuses. Cela fait partie du jeu démocratique. La légitimité politique ne se mesure plus à l’absence de contestation, mais à la capacité d’y répondre par les faits, par la rigueur, par la constance. Un gouvernement sûr de lui n’a rien à craindre d’une presse libre. Au contraire, il en tire un bénéfice : celui du contrôle citoyen, du rappel à l’ordre éthique, du dialogue permanent avec la société.
Mais encore faut-il que cette presse se regarde en face. Le temps du double discours est révolu. On ne peut pas se dire indépendant et dépendre des subsides. On ne peut pas dénoncer la tutelle de l’Etat et solliciter ses aides à chaque difficulté. Il faut choisir : l’autonomie réelle ou l’assistance permanente. L’Etat, de son côté, doit être cohérent : garantir les libertés, mais cesser d’entretenir des dépendances. C’est en libérant les médias de l’économie de rente que naîtra la vraie liberté de la presse.
A l’heure où le monde numérique bouleverse tous les repères, la seule voie durable est celle de la clarté. Clarté des droits, clarté des devoirs, clarté des responsabilités. L’Etat n’a pas vocation à aimer ou détester la presse. Il a vocation à la protéger, même contre elle-même, en lui imposant la discipline du droit. De même, la presse ne peut pas se prévaloir de la liberté pour s’affranchir de la vérité. Le citoyen, enfin, doit exercer son esprit critique, sans se laisser manipuler par le vacarme médiatique.
La liberté, la responsabilité et la justice : voilà le triangle d’équilibre d’une démocratie moderne. Dans un monde où tout se dit, se filme et se diffuse, gouverner, c’est convaincre, non contraindre. Et informer, c’est éclairer, non diffamer. L’Etat doit tenir son rang, la presse le sien. Ensemble, ils construisent la maturité politique d’une Nation qui avance. Le reste n’est que bruit passager.