Maître Sur , la République ne se plaide pas à coup de lettres

Par Mamadou Sèye

Maître Sur, permettez qu’on vous le dise avec la courtoisie que commande le débat public : le Sénégal n’est pas une salle d’audience parisienne et sa République ne se manie pas comme un dossier de plaidoirie médiatique. Ici, on ne confond pas le droit avec le bruit. Ici, on ne plaide pas contre l’Etat pour le simple plaisir d’exister dans le tumulte. Vous représentez votre client, c’est votre droit le plus strict. Mais nous, nous parlons au nom du pays, et cela engage une tout autre responsabilité.

Vos sorties répétées sur la scène internationale pour dénoncer le silence du ministère des Finances et de la Cour des comptes prêteraient à sourire si elles ne traduisaient pas une méconnaissance manifeste des procédures républicaines. Ces institutions ne sont pas des cabinets d’avocats ; elles ne répondent pas à la presse, encore moins à des lettres aux accents dramatiques. Leur mission est d’établir les faits, d’en certifier la rigueur et de laisser la justice suivre son cours. Vous leur demandez des “données brutes”, des “documents administratifs”, des “réponses formelles”. Mais, Maître, vous savez mieux que quiconque que la vérité d’un dossier ne se découvre pas à coups de courriers ni de communiqués indignés. Elle se construit dans le temps long de l’audit et de l’instruction.

Car enfin, la question de la dette cachée n’est plus un mystère. Le Fonds monétaire international lui-même l’a reconnue, noir sur blanc. Ce n’est pas une rumeur politique, mais un constat technique. Des montants ont échappé à la transparence, des engagements financiers ont été dissimulés. La Cour des comptes a validé ces anomalies après un travail sérieux. Le cabinet Mazars, commis par le FMI, a contribué à clarifier les mécanismes. Les chiffres existent, les faits sont là, et aucun argument d’autorité ne les effacera.

Dans ce contexte, réclamer des documents comme s’il s’agissait d’une affaire privée est une diversion. L’Etat n’a pas à se justifier auprès d’un ancien Président par avocat interposé. Ce serait une faute administrative et une dérive institutionnelle. Le ministère des Finances n’a pas vocation à répondre à des injonctions politiques. La Cour des comptes, encore moins. Ces deux institutions appartiennent à la République, pas à un camp. Elles travaillent pour le pays, pas pour la réputation d’un homme, aussi ancien chef d’Etat soit-il.

Et puis, Maître, vous tombez mal. Le Sénégal vit une période de redressement. Les équipes du ministère des Finances négocient pied à pied avec le FMI un nouveau programme pour relancer la confiance, protéger les salaires, stabiliser la monnaie et garantir les filets sociaux. Pendant qu’elles calculent, rassurent et négocient, vous envoyez des lettres. Pendant qu’elles discutent avec les experts de Washington, vous menacez de référé. Pendant qu’elles essaient de réparer, vous cherchez à brouiller. L’urgence nationale n’est pas de vous répondre, mais de reconstruire.

Nous ne contestons pas votre droit à défendre votre client, mais la défense ne peut pas consister à détourner l’attention du peuple. Le droit d’accès aux documents publics n’est pas un passeport pour le désordre. Il obéit à des règles. Les rapports d’audit ne sont pas des tracts, ce sont des instruments techniques soumis à des procédures strictes. Les publier ou les communiquer avant leur validation officielle relève du sabotage institutionnel.

Vous invoquez le principe du contradictoire. Parfait. Mais le contradictoire, Maître, suppose que les deux parties se situent sur le même plan procédural. Or ici, l’une des parties, c’est la Nation sénégalaise. Et elle n’a pas à débattre de sa propre vérité comptable avec ceux qui en ont faussé les lignes. Vous plaidez pour une transparence opportuniste, alors que ce pays se bat pour une transparence systémique.

Et ne nous parlez pas de rétention d’information. Ce gouvernement n’a rien à cacher. Ce qu’il protège, c’est le processus, la méthode, la cohérence. Ce qu’il refuse, c’est la pression médiatique comme arme judiciaire. Le Sénégal, Maître, n’est pas un décor pour plaidoirie parisienne. Il est un Etat souverain, avec ses règles, sa dignité, et une conscience collective qui n’a plus peur des puissants.

Vous pouvez venir, bien sûr. Vous pouvez plaider, parler, même tenir conférence de presse. Le Sénégal est un pays de droit. Nous ne sommes plus à l’époque où l’on expulsait les avocats gênants comme Juan Branco pour masquer la gêne d’un pouvoir. Mais que cela soit clair : votre liberté de ton ne vous donne pas autorité sur les institutions de la République. La justice sénégalaise travaille, lentement peut-être, mais sûrement. Et tôt ou tard, les responsabilités seront établies, sans passion ni revanche.

La dette cachée, Maître, n’est pas une invention journalistique ni un caprice politique. C’est un fait économique majeur, un scandale d’Etat aux conséquences réelles sur les finances publiques. Le FMI n’a pas parlé pour le plaisir de troubler les consciences. Il a parlé parce que les chiffres l’exigeaient. Et quand la vérité vient des chiffres, ni la rhétorique ni la menace ne peuvent la dissoudre.

Alors oui, vos lettres peuvent faire le tour du monde. Vos mots peuvent séduire des rédactions en quête de sensation. Mais le Sénégal, lui, avance sur des bases sérieuses. Pendant que vous plaidez, nos techniciens corrigent. Pendant que vous écrivez, nos comptables réparent. Pendant que vous accusez, nos institutions consolident. Et ce travail, silencieux, rigoureux, patient, finira par produire ce que vos plaidoiries ne peuvent empêcher : la vérité.

Nous vous devons ce rappel, Maître : le droit ne se proclame pas, il se prouve. Et dans cette affaire, les preuves ne manquent pas. Elles dorment dans les bilans, les tableaux, les contrats, les circuits financiers. Ce ne sont pas des opinions, ce sont des chiffres. Et ces chiffres parlent plus fort que toutes les conférences de presse.

Alors, plaidez si cela vous chante. Ecrivez si cela vous rassure. Mais sachez que le Sénégal ne répondra pas à la pression médiatique. Il répondra à l’histoire, par la méthode, la justice et la vérité. La République ne tremble pas devant les lettres recommandées. Elle avance, imperturbable, vers la lumière.

Et si derrière vous, un ancien Président croit encore pouvoir intimider les institutions par correspondance, dites-lui ceci, Maître : le Sénégal n’est plus dans l’ancien monde. Les lettres sans suite, désormais, le resteront. Parce que la seule lettre qui vaille, c’est celle de la loi. Et celle-là, Maître, ne se discute pas.

Un commentaire sur « Maître Sur , la République ne se plaide pas à coup de lettres »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *