Mise en accusation de 5 anciens ministres: la République convoque ses fantômes

Par Mamadou Sèye

La nouvelle est tombée, sèche et lourde : la justice a officiellement saisi le Parlement pour la mise en accusation de cinq anciens ministres du régime précédent. Parmi eux, des figures emblématiques, des piliers de l’ancienne architecture du pouvoir : Ismaïla Madior Fall, ex-garde des Sceaux ; Mansour Faye, beau-frère de l’ancien président Macky Sall ; Aïssatou Sophie Gladima, ancienne ministre du Pétrole et de l’Énergie ; Moustapha Diop, ancien ministre du Développement industriel ; et Salimata Diop Dieng, qui dirigeait le département de la Femme, de la Famille et de la Protection des enfants. Cette liste, révélée publiquement, agit comme une onde de choc dans le paysage politique national.

On peut sourire devant l’ironie de l’histoire : ceux qui hier détenaient le glaive de l’autorité doivent aujourd’hui en éprouver le tranchant. Mais au-delà des noms et des charges, c’est la République elle-même qui s’interroge, et peut-être vacille. Car si ces hommes et femmes sont – et doivent demeurer – présumés innocents, le symbole, lui, ne souffre aucune équivoque : pour la première fois depuis les indépendances, le pouvoir judiciaire ose remonter jusqu’aux hauteurs les plus sacrées de l’État. Ce geste, en lui-même, est inédit. Il oblige.

La tentation est grande, dans les cercles militants comme dans l’opinion, de voir dans cette démarche une revanche ou une purge. Mais l’enjeu dépasse les individus. Il engage notre rapport à la vérité, à la responsabilité, à la mémoire collective. Peut-on construire un avenir politique serein sans solder les errements du passé ? Et peut-on espérer un sursaut éthique si les fautes supposées de ceux qui ont gouverné échappent à l’examen de la justice au nom d’une stabilité toujours invoquée, rarement garantie ?

On connaît le refrain : « La justice est instrumentalisée. » Il est parfois fondé, souvent galvaudé. Mais cette fois, c’est au Parlement que revient la tâche de trancher. Et c’est là que le jeu devient vertigineux. L’institution parlementaire, souvent accusée d’être une chambre d’enregistrement, est mise à l’épreuve de sa propre utilité. Saura- t-elle faire preuve de hauteur, de discernement, de patriotisme ? Ou sombrera-t-elle dans les querelles de clocher, les calculs partisans, les vieilles fidélités nouées dans les couloirs de la République défunte ?

Ce qui se joue aujourd’hui est bien plus qu’une série de convocations ou de mises en accusation. C’est un combat pour l’âme de l’État. Un moment de vérité pour notre démocratie, qui doit démontrer qu’elle ne tremble pas devant les puissants, même déchus, et qu’elle n’humilie pas non plus ceux qui tombent, car seule la justice, pas la vengeance, permet aux peuples de guérir.

L’opinion publique, échaudée par des années de scandales impunis, oscille entre scepticisme et désir de voir un jour, enfin, une République exemplaire. Elle observera chaque geste, chaque vote, chaque silence. Rien ne sera oublié, rien ne sera pardonné sans clarté.

Il ne s’agit pas d’écrire une nouvelle page du livre noir de nos élites. Il s’agit de refermer, dignement, celle de l’impunité. Et si ce moment d’introspection nationale peut nous conduire à rehausser le seuil d’exigence morale dans l’action publique, alors il aura été utile. Redoutable, mais utile.

La République convoque ses fantômes. Il nous appartient de choisir si elle le fait pour les exorciser ou pour leur offrir une ultime parade.

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