Par Mamadou Sèye
Depuis l’accession des nouvelles autorités issues de PASTEF à la magistrature suprême, un malaise s’installe dans les cercles proches, les zones militantes comme chez les observateurs avertis : un silence étrange, une parole rare, des gestes sans récit. Pourtant, à chaque apparition du Premier ministre Ousmane Sonko, les lignes bougent, l’air devient respirable, l’enthousiasme renaît. C’est dire combien l’absence d’un dispositif robuste de communication pèse, inquiète et fragilise. Le paradoxe est là : un parti qui a conquis le pouvoir grâce à une maîtrise redoutable des narratifs, une occupation chirurgicale de l’espace public et une stratégie de contre-discours méthodique, se retrouve depuis plusieurs mois presque muet. Or, il n’y a pas de vide en politique. Et le silence du gouvernement, fût-il stratégique ou empreint d’humilité, devient vite un aveu de fragilité. Il ne suffit pas de bien gouverner, il faut aussi le faire savoir. Il faut le raconter. Il faut donner du sens, projeter une vision, proposer un langage qui dépasse les chiffres, les décrets et les nominations. Il faut enfin rassurer. Car gouverner, c’est aussi pacifier les esprits, occuper l’espace, neutraliser les faiseurs de doute, et imposer sa lecture du réel.
Le problème est profond. Il dépasse la seule question des ministres qui parlent peu. Il tient à l’absence d’une architecture complète de la communication de l’Etat et du parti. Une architecture pensée, conçue, exécutée et animée comme une machine stratégique. Aujourd’hui, les signaux sont faibles. La Présidence donne peu de tempo. Le Gouvernement agit mais communique peu. Le Parti semble en pause, quand il ne donne pas l’impression d’un camp retranché. Pendant ce temps, les adversaires, eux, investissent l’espace numérique, médiatique et diplomatique. Ils reconstruisent un récit fait d’attaques, de caricatures, d’intox et de storytelling noir. Et le plus grave, c’est qu’ils trouvent un terrain vierge, laissé vacant par ceux-là mêmes qui avaient pourtant habitué le pays à une communication vive, mobilisatrice, percutante. Ce contraste n’est pas tenable longtemps. Il crée des flottements, y compris dans les rangs internes. Il nourrit les impatiences. Il sème la confusion. Et il fait croire à tort que la seule parole audible reste celle d’un seul homme.
Or, si la figure de Sonko reste charismatique, rassurante et puissante, il est temps d’élargir la scène. On ne gouverne pas une République moderne avec une communication d’exception. Il faut une parole ordinaire, régulière, systémique. Il faut des visages multiples. Des relais formés. Des éléments de langage clairs. Un récit de gouvernement. Un agenda médiatique maîtrisé. Une lisibilité dans les silences comme dans les réponses. Ce n’est pas une affaire d’image, mais de souveraineté. Ce n’est pas une affaire de likes, mais de ligne. Et ce n’est pas une affaire de slogans, mais de stratégie. Il faut sortir de la logique du combat permanent, sans tomber dans le piège du silence stratégique. Il faut bâtir une communication de gouvernance : rationnelle, explicative, coordonnée. Une parole d’Etat qui éclaire, structure, apaise, guide. Une parole de parti qui mobilise, galvanise, clarifie. Une parole de terrain qui porte les actions concrètes au plus près des populations. Et une parole internationale, pour contrer les effets de chambre des relais hostiles qui tentent d’importer des procès biaisés ou de semer la confusion.
Le socle existe. La légitimité est là. Les hommes et les femmes engagés aussi. Mais il manque le dispositif. Il manque une tour de contrôle. Il manque une cellule centrale, animée par des profils de haut niveau, qui pilotent, produisent, anticipent, répondent, forment, coordonnent et accompagnent. Il faut rétablir une verticalité entre la Présidence, le Gouvernement, le Parti, les élus locaux, les mouvements sociaux et les réseaux de base. Il faut recréer un maillage national et international, capable de porter le message de transformation et de rupture dans toutes les langues, dans tous les formats, sur toutes les plateformes. Il faut transformer chaque action en récit. Chaque mesure en contenu. Chaque valeur en symbole. Ce n’est pas du marketing : c’est du leadership.
Aujourd’hui, dans les cercles diplomatiques, chez les partenaires au développement, chez les militants aussi, une même question revient : qui parle pour l’Etat ? Qui incarne la voix du Sénégal officiel ? Ce flou ne doit pas durer. Il faut désigner des porte-voix légitimes, compétents, préparés. Il faut ritualiser la parole publique : points de presse, émissions, tribunes, communiqués, visuels, messages ciblés. Il faut désamorcer les crises avant qu’elles n’éclatent, répondre aux fake news avant qu’elles ne s’installent, et surtout, raconter ce qui est fait avant que d’autres ne racontent ce qui ne l’est pas. Une République ne se défend pas par des silences. Elle se défend par des idées, des mots, des visages, des signes.
Ce texte n’est ni un reproche, ni une alerte, mais une contribution. Il part d’un constat lucide : les attentes sont immenses, les attaques aussi. Mais les marges de manœuvre sont là. Il suffit de les activer. Il suffit de décider que la communication n’est plus un luxe ni un accessoire, mais une fonction organique de l’action publique. Il suffit de sortir du culte du silence et de passer à la construction d’un écosystème de parole maîtrisée, pensée, assumée. Il suffit de penser la communication non pas comme un poste de dépense, mais comme un levier de souveraineté. Il suffit de comprendre qu’un pouvoir qui ne parle pas laisse parler les autres à sa place. Et à ce jeu-là, ce sont rarement les plus sincères qui prennent le micro.