Payer pour être noté : le paradoxe Moody’s face à la transparence sénégalaise

Par Mamadou Sèye

Le communiqué du ministère des Finances, publié hier, a mis fin à la confusion entretenue par une partie de la presse à propos de la récente notation du Sénégal par l’agence Moody’s. Dans une mise au point sobre mais ferme, le ministère a dénoncé les approximations et le manque de rigueur de l’analyse qui sous-tendent cette évaluation. Il a surtout rappelé que le Sénégal demeure solide, crédible et résilient, malgré un contexte international difficile.

Mais au-delà de la simple rectification technique, une interrogation plus fondamentale se pose : qui sont les hommes et les femmes qui travaillent pour Moody’s ? Leur parole, souvent brandie comme une vérité universelle, mérite-t-elle d’être considérée comme parole d’évangile ?

L’aura d’infaillibilité des agences de notation

Les grandes agences comme Moody’s, Standard & Poor’s ou Fitch se sont construites une réputation planétaire d’arbitres des marchés. Leur pouvoir est immense : un simple changement de note peut influencer les taux d’intérêt, bouleverser la confiance des investisseurs, voire fragiliser un gouvernement.

Pourtant, leur aura d’infaillibilité s’est fissurée au fil des crises. En 2008, lors de la grande débâcle financière, elles ont été au cœur du scandale : des produits financiers hautement risqués recevaient des notations « AAA », c’est-à-dire la meilleure note possible, avant de s’effondrer et de plonger le monde dans la récession. Les Etats-Unis, berceau de ces agences, ont d’ailleurs reconnu leurs responsabilités dans la manipulation du risque et la perte de confiance mondiale.

Un modèle économique qui interroge

Le problème est structurel : pour être noté, il faut payer. Autrement dit, la notation est un service rémunéré par celui qui en bénéficie. Ce système crée une zone grise où l’objectivité et l’indépendance se trouvent structurellement compromises. Peut-on vraiment évaluer équitablement un Etat quand c’est lui-même qui finance son évaluation ?

Le modèle ouvre forcément, comme le dirait l’humour populaire, des “couloirs de cœur” : les uns paient plus pour obtenir des notations plus tendres, d’autres sont sanctionnés pour leur indépendance d’esprit ou leur choix de souveraineté économique.

Quand la transparence dérange

Dans ce contexte, la réaction du ministère des Finances sénégalais prend tout son sens. Le Sénégal traverse une phase historique : celle de la reddition des comptes. Des hommes exagérément riches, jusque-là intouchables, sont aujourd’hui devant la justice ou en errance. L’Etat s’attaque à l’argent illicite, au gaspillage public et à la capture institutionnelle des ressources.

Le FMI lui-même, lors de son dernier conseil d’administration, a salué la gouvernance du Sénégal et la clarté de sa gestion budgétaire, allant jusqu’à envisager un nouveau programme de coopération avec notre pays. Ce n’est pas anodin : les institutions internationales les plus exigeantes en matière de discipline financière reconnaissent les progrès du Sénégal.

Dès lors, comment expliquer que Moody’s choisisse ce moment précis pour dégrader la perception du risque pays ? Le paradoxe est saisissant : au moment même où le Sénégal se bat pour rétablir la transparence et l’intégrité, une agence basée à des milliers de kilomètres prétend découvrir des fragilités supposées.

Les notations, instruments d’influence

Ce qu’on appelle pudiquement une notation est parfois un acte d’influence. Derrière le langage technocratique des « perspectives » et des « ratios de dette », se jouent des enjeux géoéconomiques. Les agences de rating ne sont pas des oracles ; elles sont des acteurs du système financier mondial, avec leurs biais, leurs intérêts et leurs connivences.

L’histoire l’a montré : certains Etats occidentaux, en situation d’endettement abyssal, ont bénéficié de notations clémentes. D’autres, notamment africains, sont régulièrement notés à la baisse, parfois sur la base d’indicateurs contestables ou de perceptions erronées. C’est une manière subtile de maintenir une hiérarchie entre économies “matures” et économies “émergentes”, d’imposer des taux plus lourds aux uns pour garantir la domination des autres.

Le Sénégal n’a pas vocation à être prisonnier de cette mécanique inéquitable. Il doit continuer à s’affirmer comme une économie disciplinée, souveraine et audacieuse, prête à dialoguer avec le monde mais sans s’incliner devant ses verdicts arbitraires.

Moody’s face à ses propres contradictions

Il n’est pas inutile de rappeler que Moody’s a déjà été condamnée pour pratiques trompeuses et pour avoir dissimulé des informations sur ses méthodes d’évaluation. En 2017, l’agence a versé 864 millions de dollars d’amende aux autorités américaines pour avoir faussement évalué la qualité de produits financiers risqués.

Dès lors, comment une institution qui a failli à ce point dans ses propres responsabilités pourrait-elle juger, sans trembler, les finances publiques d’un pays comme le Sénégal ?

Le paradoxe est d’autant plus criant que le gouvernement sénégalais publie régulièrement ses chiffres, fait auditer ses comptes, et engage une lutte inédite contre la prédation économique. Cette volonté de transparence, saluée par le FMI et reconnue par les partenaires techniques, n’a pas encore trouvé son écho chez certaines agences qui préfèrent s’accrocher à d’anciens schémas d’analyse.

L’heure de la lucidité

Le Sénégal, fidèle à sa tradition de rigueur et de dignité, a choisi la voie de la vérité. Il n’a rien à craindre de la lumière. Mais il doit aussi refuser que des notations orientées viennent saper le moral de ses citoyens et ternir les efforts de redressement engagés par les nouvelles autorités.

Car la vraie force d’un pays ne se mesure pas seulement dans les chiffres, mais dans la volonté politique de bâtir un modèle juste et durable.

Oui, le Sénégal paie pour être noté. Mais il ne doit plus payer pour être injustement déclassé.


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