Par Mamadou Sèye
Un ministre, un député, des échanges — et une théière. Il n’en fallait pas plus pour faire frémir la République. Moustapha Guirassy, ministre de l’Éducation nationale, se retrouve sur la sellette pour des dépenses jugées somptuaires liées à… du matériel de petit déjeuner. En face, Guy Mary Sagna, député de la majorité, qui décoiffe la bienséance politique en s’attaquant frontalement à son propre camp. Le ton est donné : fini le temps des silences respectueux et des critiques en aparté. Place au verbe libre, à la transparence, et — pourquoi pas — au spectacle.
À première vue, l’affaire prête à sourire. Une polémique sur des thermos, des tasses, peut-être une nappe brodée, dans un pays qui croule sous les urgences éducatives ? On croirait à une mauvaise blague si elle ne révélait pas un tournant bien réel. Car au-delà des objets, c’est une ligne de fracture qui s’expose : celle entre la gestion « à l’ancienne » et une nouvelle exigence de reddition des comptes, même au sein de la majorité.
Le ministre plaide le protocole, la procédure, le décorum républicain. Le député agite le chiffon rouge des priorités mal placées. Les deux ont, en partie, raison. Mais leur duel, lui, fait mouche. Car dans un pays où l’on a longtemps dévalué le droit de savoir au profit du droit de se taire, voir la transparence surgir même des rangs du pouvoir est un signe fort.
Et c’est là que ça devient intéressant : quand les chiens de garde de la majorité eux-mêmes se mettent à japper, l’opposition peut ranger ses crocs. À ce rythme, elle risque de ne plus avoir d’os à ronger.
C’est que, camarade, on assiste peut-être à la naissance d’un nouvel esprit public. Un climat où le citoyen veut comprendre, savoir, vérifier. Où les dépenses les plus ordinaires — même pour le café — doivent s’expliquer, s’assumer, se justifier. Et où les ministres ne peuvent plus se réfugier derrière le rideau du protocole sans qu’on en soulève les plis.
Le Sénégal change. Ce ne sont pas encore des États généraux de la vertu, mais ce sont déjà des matins plus lucides. Théière ou pas, le service est lancé. À ceux qui tiennent la cuillère de ne pas tourner dans le vide.