Par Mamadou Sèye
Le temps du symbole s’achève. Le cycle de la transition s’est refermé avec le vote massif du peuple, à la fois à la présidentielle et aux législatives. Le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko n’ont pas hérité du pouvoir : ils l’ont conquis, dans la clarté, par les urnes et dans l’adversité. Ils n’ont pas été cooptés, ni portés par une quelconque conjoncture confuse : ils ont été choisis, lucidement, majoritairement, pour incarner une rupture historique. Cette rupture ne peut plus attendre. Elle ne peut plus se contenter d’être proclamée, elle doit être administrée. Et pour cela, il faut une équipe à la hauteur. Une équipe qui gouverne, pas qui expérimente. Une équipe qui délivre, pas qui apprend.
Le gouvernement actuel est né dans un contexte d’urgence, entre installation institutionnelle, gestion des urgences sociales, et nécessité de rassurer des segments variés de la population. Il a permis une transition calme, il a porté les premiers chantiers, il a amorti les chocs de l’alternance. Mais aujourd’hui, il atteint ses limites. Par sa composition floue, ses disparités de niveau, ses hésitations visibles dans l’action. Un Président élu au premier tour et une majorité parlementaire nette donnent à l’Exécutif la force politique d’agir sans trembler. Il ne s’agit pas ici de sanctionner ou d’humilier, mais de repositionner. De réajuster pour réussir. On ne gouverne pas un pays avec des équilibres fragiles et des profils tièdes. On gouverne avec de la vision, du courage, et des hommes et femmes d’action.
Le Premier ministre Ousmane Sonko l’a bien compris. Sa récente réunion avec les membres du gouvernement a tout l’air d’une pré-évaluation collective. Ce moment, qui aurait pu passer inaperçu, est en vérité un acte politique fort. Le signal qu’un tri est en cours. Que l’heure de vérité approche. Ce gouvernement, ou ce qu’il en restera, devra entrer dans une nouvelle phase : celle de la cohérence stratégique, de la méthode, du résultat. Et cela ne se fera pas avec tout le monde. Certains doivent être prolongés, d’autres réaffectés, d’autres encore simplement remplacés. La rupture n’est pas une posture : c’est un tri exigeant, un engagement à rendre compte, une volonté de performance.
Face à cette exigence de réorganisation, la société civile a choisi hier d’exprimer sa « déception » vis-à-vis du Dialogue national. C’est son droit. Mais cette déception est d’abord révélatrice d’une ambiguïté dans le positionnement de certains acteurs. Le Dialogue national n’était pas une obligation politique. Il a été une initiative présidentielle pour pacifier, entendre, rassembler. Mais il ne saurait devenir un substitut à la gouvernance républicaine. Certains acteurs semblent nourrir une ambition implicite : participer, orienter, voire cogérer. Or, le mandat de gouverner n’a pas été donné à la société civile. Il a été donné au Président et à son gouvernement, par le suffrage universel. Il faut donc que chacun retrouve sa juste place. La critique est salutaire. L’alerte citoyenne est légitime. Mais la prétention à influer directement sur la conduite de l’Etat, hors du cadre institutionnel, est politiquement non fondée. Et potentiellement nuisible à la cohérence de l’action publique.
D’autant plus que la démocratie sénégalaise, quoi qu’en disent certains, fonctionne pleinement. La liberté de la presse est consacrée. Jamais les médias n’ont été aussi actifs, aussi divers, aussi bruyants. Les critiques fusent, les polémiques circulent, les analyses abondent. Ce pluralisme est une richesse. Mais il ne saurait justifier les débordements, les violations de la loi, les campagnes de désinformation ou les appels à l’anarchie. La liberté d’expression n’a jamais signifié l’impunité. Et les recours légaux, y compris en cas de diffusion malveillante ou de manipulation de masse, ne doivent pas être diabolisés. L’Etat de droit, c’est aussi cela : garantir la liberté, tout en traçant des limites protectrices. La presse est libre. Mais la République aussi doit être respectée.
Au fond, camarade, ce qui est en jeu ici, ce n’est pas un simple remaniement technique. C’est un moment politique. Un tournant stratégique. La possibilité, pour le duo exécutif, d’entrer pleinement dans le temps du gouvernement effectif, solide, assumé. Ce peuple qui a voté, massivement, attend des actes. Il veut des ruptures visibles. Il veut du changement dans le quotidien, dans les services publics, dans la posture des représentants de l’Etat. Il ne s’agit pas d’aller vite pour aller vite. Il s’agit d’aller juste, fort, et loin. Le Sénégal a besoin d’un gouvernement de mission. Pas d’un gouvernement de compromis.
Le remaniement attendu n’est donc pas une rumeur politicienne. C’est une nécessité de gouvernance. Il est attendu non par les journalistes ou les opposants, mais par ceux-là mêmes qui ont donné au Président et à son Premier ministre leur confiance. Ce peuple jeune, intelligent, exigeant. Ce peuple qui ne veut pas seulement être sauvé : il veut être respecté, écouté, servi. Il ne s’agit pas de tout recommencer. Il s’agit de mieux commencer. D’enclencher l’acte II. De libérer le potentiel immense d’un leadership légitime, intègre et déterminé. Le reste suivra.