Quand le ciel brûle à l’Est, l’Afrique ne peut pas dormir

Par Mamadou Sèye
Les frappes croisées entre l’Iran et Israël ont résonné bien au-delà du Proche-Orient. A travers cette montée inédite des tensions, c’est l’équilibre stratégique mondial qui vacille. Et l’Afrique, trop souvent spectatrice des grands désordres du monde, ne peut plus se permettre le luxe du silence. Il est temps d’avoir une voix. Et surtout, une vision.


Ce fut bref, ciblé, mais lourd de sens. L’Iran a attaqué Israël à coup de drones et de missiles. Tsahal a répliqué, chirurgicalement. Les grandes capitales ont retenu leur souffle. L’onde de choc n’a pas seulement traversé le désert syrien ou les collines du Golan. Elle a parcouru les bourses, fait grimper les cours du pétrole, fragilisé des routes commerciales, déstabilisé des équilibres militaires.

Et pourtant, un continent entier est resté muet. Pas une position claire, pas une réunion d’urgence. L’Afrique regarde brûler l’ordre mondial depuis sa véranda diplomatique.

Il faut dire les choses crûment : nous n’avons pas de vision géopolitique à la hauteur des enjeux du siècle. Nous avons des diplomates, des chancelleries, parfois des slogans. Mais pas de doctrine. Pas de discours articulé sur les bouleversements du monde. Pas d’anticipation collective sur ce que peut signifier un affrontement régional qui dégénère en guerre ouverte.

Pourtant, tout ce qui se joue au Proche-Orient nous concerne directement. Parce que nos économies sont sensibles à chaque hausse du baril. Parce que nos ports souffrent de la moindre tension dans le détroit d’Ormuz ou le canal de Suez. Parce que nos diasporas, nos pèlerins, nos partenaires stratégiques vivent au cœur de ces zones de feu. Et surtout, parce que l’Afrique doit cesser d’être l’arrière-cour diplomatique du monde.

Quand les missiles sifflent, les puissances s’alignent ou se positionnent. Washington soutient Israël, Moscou navigue à vue, Pékin joue la prudence stratégique. Et l’Afrique, elle, s’abstient. Par confort ? Par peur de mal dire ? Par conviction que cela ne nous regarde pas ?

Ce serait une grave erreur. Ce qui ne nous regarde pas finit souvent par nous atteindre. La guerre en Ukraine l’a montré : elle n’a pas touché un seul de nos territoires, mais elle a affamé nos populations, perturbé nos chaînes d’approvisionnement, fait flamber nos budgets.

Le monde est devenu un petit village en crise permanente. Et l’Afrique n’est plus à l’abri dans sa case.

Il est donc urgent d’investir un autre champ : la pensée stratégique continentale. Il nous faut des centres d’analyse panafricains capables de décrypter le monde en temps réel. Il nous faut des voix africaines sur les grandes tribunes, pas pour suivre le tempo des autres, mais pour défendre nos propres lectures du chaos mondial. Il nous faut surtout des dirigeants qui comprennent que se taire, c’est s’effacer.

L’Afrique peut avoir une voix. Mais elle doit d’abord décider de ne plus subir l’histoire.

Quand le ciel brûle à l’Est, nous ne pouvons pas dormir. Car c’est souvent dans les marges qu’on place ceux qui ne parlent pas.

Et aujourd’hui, le silence est une faute stratégique.


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