Par Mmadou Sèye
Il est des êtres dont la pensée n’est pas seulement érudite, mais rayonnante. Souleymane Bachir Diagne est de ceux-là. Un sanctuaire. Non pas un lieu figé ou silencieux, mais un espace vivant, où la rigueur s’allie à la douceur, et où l’intelligence éclaire sans jamais écraser.
J’ai eu le privilège rare de suivre ses enseignements, à une époque où les amphithéâtres ne contenaient pas que des étudiants, mais aussi des aspirations, des révoltes et des soifs de sens. Avec lui, la philosophie devenait une respiration. Il nous ouvrait à des univers insoupçonnés, à la croisée des mathématiques, de la logique, des spiritualités africaines et de la modernité critique. C’est lui qui m’a initié à l’algèbre de Boole — mais toujours avec le soin de rattacher les abstractions au cœur battant de la condition humaine.
Ce qui impressionne chez Bachir Diagne, ce n’est pas seulement l’étendue de son savoir, c’est l’extraordinaire humilité avec laquelle il l’habite. Une humilité presque déroutante, rapportée à la profondeur de sa pensée. Il enseigne sans jamais se poser en maître, mais toujours en éclaireur. Il pense l’Afrique sans l’enfermer dans ses blessures. Il articule tradition et avenir sans les opposer. Il interroge la laïcité non pas comme une importation, mais comme une possibilité africaine, enracinée dans nos propres formes de pluralisme et de tolérance.
Que Columbia University lui rende aujourd’hui un hommage émérite n’est pas un hasard. C’est la reconnaissance mondiale d’un penseur qui a su faire dialoguer les continents, les langues, les traditions. Et pourtant, jamais il ne s’est éloigné de la source : celle d’une philosophie enracinée, vivante, capable de dire le monde en wolof, en peul, en français ou en anglais.
À travers lui, je salue aussi d’autres figures tutélaires de notre formation intellectuelle. Le Professeur Mamoussé Diagne, d’abord, dont les cours étaient de véritables traversées : il pouvait partir de Machiavel dans Le Prince, bifurquer vers Kant, convoquer Aristote, puis revenir, tout naturellement, à la sagesse mandingue ou sérère. Une pensée mobile, limpide, brillante, jamais prisonnière de ses cadres.
Le Professeur Abdoulaye Elimane Kane, quant à lui, alliait l’exigence critique à une générosité d’esprit remarquable. Chez lui, l’intelligence n’était jamais aride, elle servait une quête sincère de sens, nourrie par la littérature, la culture et une profonde humanité.
Et bien sûr, le Professeur Alassane Ndaw, voix grave, regard profond, dont l’enseignement de la pensée africaine fut d’une intensité rare. Il savait, lui aussi, que cette pensée n’était ni un folklore ni une nostalgie, mais une manière d’habiter philosophiquement le monde.
À tous ces maîtres, je veux dire merci. Grâce à eux, nous avons appris que philosopher, ce n’est pas fuir le réel, mais le traverser avec lucidité et dignité. Et qu’un homme peut, par la seule force de sa pensée et la justesse de son cœur, devenir un phare pour les générations.
Souleymane Bachir Diagne est l’un de ces phares. Discret, lumineux, constant.