Par Mamadou Sèye
Alors que le Premier ministre Ousmane Sonko annonce 150 milliards de francs CFA récupérés sur des contrats publics renégociés, une partie de l’opinion préfère épiloguer sur la coupe de ses boubous ou le modèle de l’avion qu’il emprunte. Une dérive symptomatique d’un débat public rongé par la futilité, au moment même où des actes concrets de gouvernance sont posés.
Par-delà les postures politiciennes, l’annonce faite par le Premier ministre Ousmane Sonko ce 1er juin à Abidjan aurait dû provoquer un sursaut national. Plus de 150 milliards de francs CFA récupérés grâce à la renégociation de contrats publics. Une somme colossale, arrachée aux griffes de la mauvaise gouvernance, réinjectée dans les veines d’un Etat trop longtemps anémié par les dérives contractuelles, les surfacturations érigées en pratiques courantes, et les connivences opaques entre décideurs et prestataires.
Et pourtant, face à une déclaration aussi structurante, certains n’ont trouvé rien de mieux à faire que de gloser sur les boubous du Premier ministre ou de spéculer sur le moyen de transport utilisé pour se rendre à Abidjan. L’un jure qu’il aurait pris un Falcon, un autre ricane sur son usage supposé de l’avion présidentiel, qu’on lui refuse par ailleurs d’utiliser. La haine rendra fous certains. Triste époque où l’obsession du détail frivole étouffe toute tentative de sérieux.
Car cette annonce n’est pas un effet de manche. Dans le domaine de l’éducation, 30 milliards de surfacturation ont été identifiés : l’Etat a obtenu leur transformation en 2 000 salles de classe construites sans dépenser un franc de plus. Dans l’enseignement supérieur, 25 milliards de trop sur des marchés universitaires sont venus gonfler une note que plus personne ne vérifiait. Et dans la santé, les audits déclenchés révèlent un paysage délétère qu’on n’osait plus regarder en face. Ce n’est pas un miracle, mais un acte politique fort : reprendre le contrôle des contrats publics, nettoyer les écuries de l’Etat, remettre les ressources nationales au service des priorités collectives.
Mais à quoi bon des efforts si, pendant ce temps, une partie du pays préfère commenter la texture d’un tissu plutôt que la solidité d’un programme ? L’obsession du paraître finit par devenir un rideau opaque sur l’essentiel. Oui, gouverner, c’est donner des gages de transparence. Mais gouverner, c’est d’abord agir sur les leviers concrets du développement : l’école, la santé, la justice, la dépense publique. Tout le reste n’est que bruit.
Le Premier ministre n’a pas sorti 150 milliards d’un chapeau. Ce chiffre est le résultat d’une volonté politique assumée : celle de renégocier, de résister aux pressions, de restaurer l’intérêt général. Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas une communication, c’est une architecture : celle d’un Etat qui tente de se reconstruire sur des bases saines, après des années de bricolage budgétaire et de laisser-faire complice.
Le plus inquiétant n’est pas que certains fassent mine de ne pas comprendre : c’est qu’ils réussissent parfois à imposer leur vacarme comme seule bande-son du débat public. Ce vacarme qui parle de Falcon quand il faudrait parler d’écoles ; qui dissèque un boubou pendant qu’on recoud le tissu de la République.
La vraie question n’est pas de savoir si le Premier ministre voyage léger ou en jet.
La vraie question, c’est : l’argent du peuple retourne-t-il enfin au peuple ?
Et, pour une fois, la réponse semble bien être oui.