Par Mamadou Sèye
La Tabaski approche, et avec elle, un phénomène bien sénégalais : le réveil des cœurs… et des portefeuilles. Mais attention, ce n’est pas l’amour qui revient. C’est l’amour de l’opportunité, version grillade et « khar-mical« .
Dans l’écosystème sentimental sénégalais, la fête du mouton n’est pas une simple fête religieuse. C’est la CAN des relations intéressées, la saison haute des textos soudains, des voix mielleuses et des « tu m’as oubliée, hein ? » aux allures de prélude bancaire.
Le mâle urbain, surtout s’il est bien sapé, bien parfumé et un peu volage, est en danger. A l’approche de la Tabaski, il devient une proie ciblée, scannée par satellites invisibles aux noms de Mamy, Binta, Sokhna et les autres.
Elles ont le timing.
Elles ont le répertoire.
Elles savent qu’il ne faut pas demander le mouton, non. Trop direct. Trop risqué.
Elles demandent « la natte de prière de la maman », « la robe de la petite sœur », ou simplement « ta présence le jour-là », avec une voix qui pourrait faire fléchir même un agent du FMI.
Et lui, le stratège sentimental, que fait-il ? Il esquive.
Il change de numéro, mais oublie que WhatsApp le trahit.
Il poste des statuts confus, genre « Ne me demandez rien, je suis en deuil fiscal ».
Il simule une sortie du territoire, version « Je suis en mission à Dubaï », alors qu’il est tapi chez lui à Pikine, rideaux fermés, téléphone en mode avion.
Il devient invisible, insaisissable, presque mystique. Certains vont jusqu’à feindre une crise spirituelle, déclarant subitement : « Cette année, je fais une Tabaski intérieure » ou « Je ne célèbre plus le mouton, je célèbre le sens du sacrifice ».
Comprendre : je suis fauché, laissez-moi en paix.
Mais gare à la contre-attaque. Certaines dames sont formées à l’école du renseignement. Elles enquêtent, recoupent, triangulent les infos, traquent les incohérences :
« Tu m’avais dit que tu partais à Ziguinchor, mais j’ai vu ton cousin poster une story à Keur Massar avec toi en arrière-plan. »
Et là, c’est le drame.
L’exposition publique.
La convocation amoureuse.
Et parfois… la menace de blacklistage sur toutes les pages de « Femmes Dignes et Déçues Sénégal ».
Moralité ?
En période de Tabaski, aimer devient un sport de haut niveau. Il faut du cœur, oui. Mais aussi un compte mobile bien garni, un alibi solide, et surtout… beaucoup d’humour.
Parce qu’au fond, derrière les chantages doux et les répliques savoureuses, tout cela n’est qu’un théâtre social que seuls les Sénégalais savent jouer avec autant de brio.