Par Mamadou Sèye
L’intervention des gendarmes hier dans les locaux de 7TV pour empêcher la diffusion d’une interview annoncée de Madiambal Diagne a immédiatement déclenché une onde de choc. L’image d’une responsable de média accompagnée par les forces de l’ordre nourrit forcément l’émotion. Certains y verront sans attendre un nouveau débat sur la liberté de la presse. D’autres — plus prudents — comprendront que la situation exige un peu de recul avant les anathèmes automatiques. Car derrière l’aspect spectaculaire de l’opération, les faits qui l’ont motivée sont d’une gravité indéniable.
A ce stade, une vérité incontournable s’impose : la personne qui devait être interviewée fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Cela ne relève pas d’une interprétation subjective ni d’une polémique politicienne. Une telle mesure judiciaire ne se prend jamais à la légère. Elle engage l’Etat, elle mobilise la coopération policière extérieure, et elle concerne nécessairement des faits d’une grande importance. Pour un média, décider de donner une tribune à un individu en fuite pose des questions éthiques et juridiques majeures, quelles que soient les convictions que l’on peut avoir sur le fond.
Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause la liberté d’informer ni le rôle crucial des médias dans une démocratie. Ce pays a payé — cher — pour que le pluralisme médiatique s’installe durablement. Il ne s’agit pas non plus de dénier à un confrère le droit de s’exprimer, d’alerter, de critiquer ou de creuser des dossiers sensibles. Mais il existe une frontière à ne pas franchir : celle qui sépare l’information de la possible entrave à la justice.
En réalité, aucun journaliste ne peut feindre d’ignorer ce principe simple : lorsqu’une procédure judiciaire est ouverte et que la personne recherchée refuse de se présenter devant le juge, la scène médiatique ne doit pas devenir un refuge permettant de contourner la loi. Une interview de cette nature n’est jamais neutre. Elle expose directement le média à la suspicion de participation — volontaire ou non — à la construction d’un récit alternatif visant à devancer ou influencer une procédure judiciaire en cours.
Il est évident que la direction de 7TV souhaitait réaliser un coup éditorial. L’audience, la résonance nationale, le contexte politique encore vibrant… tous les ingrédients d’une retombée médiatique étaient réunis. Mais le succès journalistique ne peut pas, ne doit pas, reposer sur la mise en scène d’une cavale. L’Etat de droit repose sur la capacité de la justice à mener ses procédures jusqu’au bout, sans pression extérieure qui viendrait brouiller la perception publique et fragiliser la légitimité institutionnelle.
L’intervention des forces de l’ordre, dans ce cadre précis, apparaît comme une mesure préventive fondée sur une exigence de protection du bon fonctionnement de la justice. Et ce n’est pas porter atteinte à la presse que de le reconnaître. Les autorités ont agi pour éviter l’installation d’un précédent dangereux, où tout accusé cherchant à se soustraire à la justice pourrait négocier sa défense sur un plateau télé avant de répondre devant un magistrat.
Il faut ici rappeler une évidence souvent occultée dans le tumulte médiatique : la liberté de la presse n’exonère pas des responsabilités légales. Elle implique au contraire une vigilance accrue. Les journalistes ont pour mission d’informer, mais jamais de se substituer aux acteurs judiciaires ni de favoriser — même involontairement — la défiance envers les institutions. Notre métier gagne en respect quand il assume cette maturité.
Il est permis d’espérer que les autorités, dans cette affaire, sauront continuer à conjuguer fermeté dans la protection de la justice et respect des droits garantis aux organes de presse. De la même manière, il est permis d’espérer que l’écosystème médiatique prendra ce moment pour réévaluer collectivement les lignes rouges à ne jamais franchir, non par peur, mais au nom de la crédibilité globale de la profession.
Ce dossier est sensible, parce qu’il implique des journalistes, un entrefilet politique, une procédure judiciaire lourde et un climat national où les réflexes de suspicion peuvent vite s’installer. La meilleure façon de ne pas ajouter à la confusion est d’appeler chacun à sa responsabilité : aux médias de garder à l’esprit qu’ils ne sont pas au-dessus de la loi ; aux autorités d’être irréprochables dans le respect du droit ; aux citoyens et à l’opinion de ne pas se laisser emporter par des interprétations hâtives.
Ce qui est en jeu dépasse 7TV, dépasse la personne concernée par le mandat d’arrêt. C’est la ligne de crête fragile sur laquelle doivent cohabiter liberté d’informer et primauté de la justice. Si cette affaire aide collectivement à mieux tracer cette frontière, alors le Sénégal en sortira renforcé. Et la presse elle-même y gagnera en prestige, en sérieux et en autorité morale — ce qui est, au fond, la plus précieuse des libertés.