Par Mamadou Sèye, ancien conseiller en communication du Président Abdoulaye Wade
Il est des hommes dont la trajectoire épouse l’histoire d’un peuple. Des hommes qui, en approchant les cent ans, ne vieillissent pas mais s’érigent en monument vivant. Le Président Abdoulaye Wade est de ceux-là. En ce 29 mai 2025, à l’occasion de son 99e anniversaire, je tiens à rendre hommage à cet homme d’exception, que j’ai eu l’honneur d’accompagner dans ses dernières années au sommet de l’Etat, en qualité de conseiller spécial, conseiller en communication.
Parler de Wade, c’est convoquer une époque, des luttes, des idées. C’est se souvenir d’un opposant infatigable, d’un penseur visionnaire, d’un Président bâtisseur. Mais c’est aussi raconter l’homme, avec ses traits d’humour ravageurs, son intelligence tactique, ses échappées oratoires qui rendaient chaque prise de parole à la fois redoutée et attendue.
Je me souviens d’un Sommet de la CEDEAO à Abuja, où nous avions convenu, à l’issue des travaux, que la communication présidentielle se limiterait strictement au communiqué final. Un choix stratégique, suite à un précédent où le Président, fidèle à sa franchise, avait lancé que « beaucoup de ses pairs étaient venus au pouvoir par le truchement d’un coup d’Etat ». Cette déclaration avait enflammé les chancelleries et la presse.
Le jour du sommet venu, un couloir s’était naturellement formé, les journalistes massés autour, guettant la sortie du Président Wade, impatients de capter ne serait-ce qu’un mot — en particulier notre confrère Jean-Karim Fall de RFI, paix à son âme.
Wade, en sortant, me fixa. Je lus dans ses yeux l’envie de parler, de rompre notre pacte. Il avait ce regard espiègle, presque joueur. Plutôt que de répondre à ce signal, je fis mine de l’ignorer et intimai à la garde rapprochée de lui ouvrir un passage rapide. Il comprit aussitôt mon manège, et lança à la volée, devant les micros tendus :
« J’ai un nouveau patron qui m’empêche de parler. »
Ce trait d’humour n’était pas une simple pique affectueuse. C’était Wade dans toute sa subtilité : respectueux du cadre, mais toujours maître de la scène, toujours un pas devant. Et dans mon for intérieur, je sus que si j’avais cédé, il aurait pu me reprocher d’avoir laissé faire.
Abdoulaye Wade, c’est cela : une pensée vive, une parole libre, une maîtrise des codes mais un goût pour les éclats. C’était un privilège d’évoluer à ses côtés, même lorsque le feu de la communication présidentielle exigeait des réflexes d’équilibriste.
Aujourd’hui, à l’aube de ses 100 ans, il demeure une référence. Sa longévité est un symbole, son parcours une école, sa voix — même silencieuse — une mémoire.
Bon anniversaire, Président.
Vous nous avez appris à penser loin,
à parler franc,
et à croire que tout était possible.